Winter Camp ’21
Sélection d’albums hivernaux
, le 21 décembre 2021
Après plusieurs années à vous proposer nos albums estivaux préférés, l’heure est venue d’enfiler les moufles, de planquer les cailloux dans les boules de neiges et de couper le vin chaud à la gnôle.
Pour certains, hiver rime avec Timberland et boom bap new yorkais, pour d’autres avec le chauffage à la gazinière d’une Trap atlantesque, d’autres encore inversent les polarités et filent tout droit naviguer plus au Sud. Mais heureusement, les gros cristaux de cocaïne nous réunissent et c’est bien là le plus important. En cette sympathique fin d’année, l’équipe vous propose avec grande joie son premier « Winter camp », pour se péter la ruche en solo ou en famille, dans la chaleur d’un gîte montagnard ou la fraîcheur d’une journée d’affouage.
7L & Esoteric - DC2 : Bars of death (2004)
– Tis
DC2 est le 3e album du duo en provenance de Boston 7L & Esoteric. C’est très certainement l’album qui synthétise le mieux la recette établie lors de leurs précédents opus. Des prods pour se casser la nuque en rythme ciselées par 7L, un rap cinglant au flow maîtrisé à toute épreuve pour Esoteric. La complémentarité du duo fonctionne à merveille pour le plaisir des fans d’un rap brut sans concession (le morceau "Loud & Clear" ou "Rogue Nation" en sont de parfaites illustrations), quoi qu’en disent ces détracteurs qui pourront râler sur la thématique rap "battle" et la tonalité résolument boom-bap "rentre-dedans". Sorti chez Babygrande Records, cet album est aussi le témoin d’une époque où les artistes pouvaient caser 19 titres carrés d’une qualité plus que correcte et ce n’est pas la durée de l’album (plus d’une heure) qui rebutera les amateurs de ce rap percutant. On y retrouve quelques invités de qualité, gravitant autour du duo à l’instar de Celph Titled et d’Apathy (que l’on retrouvera dans le collectif The Demigodz), ou encore Vinnie Paz & Outerspace sur le "This is war" préfigurant le collectif futur d’Army Of The Pharaoahs. Même une production de J-Zone dénotant avec la cohérence musicale de l’album est une occasion pour Esoteric de mieux illustrer sa technicité nonchalante. Plus de 16 ans après sa sortie, cet album n’a finalement pas si mal vieilli, et reste un album parfait pour affronter l’hiver, ici ou dans le Massachusetts.
– Track : Grace of Gods feat. Rise (prod. 7L)
Clipse - Lord Willin’ (2002)
– Endé / La Prune
Votre hiver c’était mon été. Puis votre hiver est aussi devenu le mien. Je déboule de l’hémisphère sud, on inverse les saisons. D’ailleurs on en garde uniquement deux. Hiver, Été. Fuck le moyennisme et l’entre-deux ! Radical comme ce bon vieux fanzine. Ce bon vieux rap dans les veines. Depuis tout ce temps, qu’est-ce que j’peux ressortir de ma musette pour traverser le glacier ? Allez, on part sur deux reufs, à l’avant du cortège, cabriolet-cruisant dans Virginia Beach. À l’arrière, ce boug avec sa couronne épineuse. Lord Willin’ de The Clipse. 2002, Malice & Pusha, Startrak, le spaceship des Neptunes, Grindin’ en fer de lance. La calotte dans la gueule du jeune yab néo-mérignacais que je suis. En boucle, je m’ambiance éganté sur les récits de fabuleux providers. Je me pèle les soufflets mais Dieu merci j’ai les instruments à vents, Pharrell qui ne rappe pas trop encore, du clap tranchant, des invités respectueux du projet,… J’affronte le froid, et j’suis chaud. HOT DAAAAAMN ! J’suis sûr de revoir un printemps chaque année depuis cette shit. Chaque printemps j’suis sûr de réentendre ce projet chaud tel un baril récomfortant sur Tobacco Road. En guise de North Face j’ai un album, sans écart de températures ni faiblesse niveau thermostat. Playas we ain’t the same, I’m into ’caine and guns / Chopard with the fishes make the face lift numb. Fuck cette Neige ! Merci aux Crocos ! PAIX !
– Track : Intro (prod. The Neptunes)
Curren$y & Alchemist - Covert Coup (2011)
– reallyraw
Voici un projet d’hiver sorti en Avril. Tout juste signé chez Warner début 2011, après nous avoir offert Pilot Talk II, Curren$y nous annonce son premier projet pour sa nouvelle maison qui sortira le 4/20, gratuitement. Difficile de garder la tête froide quand son rookie préféré du moment prévoit de sortir un album entièrement produit par son producteur préféré. Ventilation est le premier single et représente très bien ce projet : Curren$y excelle dans son rap nonchalant, agrémenté d’images d’herbe de qualité, de voitures de collection et surtout de son authenticité. Les productions d’Alchemist sont de très haut standard comme à son habitude, hypnotisantes et même mystérieuses (le sample de Success is My Cologne n’a été trouvé que cette année, pour l’anecdote) On dénote une réelle alchimie -sans mauvais jeu de mot- entre les deux compères, épaulés par une belle liste d’invités (Prodigy, Freddie Gibbs, Smoke DZA & Fiend) qui nous livrent des prestations remarquables. Alchemist sample même la B.O. de Full Metal Alchemist pour l’instrumentale de Full Metal. En résumé un très beau projet qui se réécoute très facilement quelle que soit la saison même son univers, de la pochette aux instrus se prête très bien à l’hiver. Un seul regret toutefois, c’est de n’avoir jamais pu écouter Coming Down, prévu sur la tracklist originale : il semblerait bien qu’il ait toutefois été remplacé par Success is My Cologne, un mal pour un bien donc
– Track : Ventilation (prod. The Alchemist)
Eazy Racks - All Racks (2019)
– XW
Le disque d’hiver parfait est celui qui fait souffler un vent glacial sur la nuque, alors que le soleil ne parvient même pas à réchauffer le bout du nez. All racks est une longue balade à travers la ville sous un froid sec, si froid, si sec que chaque extrémité du corps en est endolorie. Le rappeur de Fort Kaine nous transporte dans son élément, et cette longue balade hivernale transporte avec elle un spleen - caractéristique de ce dope boy blues du midwest. On craque une allumette pour griller cette fichue cigarette et laisser ses idées s’envoler comme la fumée dans l’air sur "Imperfect". Le temps semble comme suspendu, la ville figée par le froid glacial, et le rouge du tabac qui se consume si vif. Le cœur grossit, alors que les souvenirs des après-midis à faire les 400 coups avec les copains remontent sur "Hussle", et qu’Eazy Racks pleure ses amis que la vie a laissé derrière. On écrase le mégot, le regard dominant la ville, chaque souffle créant sa bulle de fumée dans l’air. Les ambiances changent succinctement avant de retomber dans la mélancolie, avec l’enchaînement de "Swv" et de ce magnifique "Come Home", qui fait perler quelques larmes de nos yeux. Le souvenir d’elle est encore si vif, l’appel à son retour, un cri du cœur qu’on ne peut s’empêcher de retenir. Pardonne-moi comme je te pardonne et reviens à la maison. L’appel semble vain, la balade devient de plus en plus aléatoire, comme abandonné à son propre sort, on ne sent même plus le froid. Le retour à la maison s’effectue sur le son "Rain Snow Sleet", de circonstances. Sous la nuit noire tombée en plein milieu d’après midi, et alors que le bois craque sous le feu dans la cheminée, on se ressert une jolie dose de cognac - en pensant aux copains, ceux pour lesquels on sera toujours là, au moment de terminer le verre.
– Track : Swv
French Montana & Max B – Coke Wave (2009)
– Sylvain Bertot / Le Mot et le reste /Fake For Real
L’hiver, dans les rues froides de New-York, il tombe de la poudre blanche. Mais ce n’est pas de neige, dont il s’agit. C’est en tout cas ce que laissent entendre Max B et French Montana sur Coke Wave. Sortie en février 2009 avec le renfort de Dame Grease et de DJ Whoo Kid, au plus fort de l’époque des mixtapes gratuites, cette sortie d’anthologie est le produit le plus remarquable de l’association entre ces rappeurs, alors unis par leur détestation commune de Jim Jones. Après cela, les deux hommes connaîtront des destins contraires, longue peine de prison pour Max Biggaveli, succès showbiz pour le Marocain de New-York, que l’on verra frayer un temps avec Khloé Kardashian. Mais pour l’heure, l’alliance entre le phrasé chantonnant de Max B et celui, plus conventionnel, de French Montana, fait des merveilles, que ce soit sur leurs morceaux originaux, ou sur ceux qui détournent 50 Cent, 2Pac, M.I.A., voire Sting et David Bowie. Démonstration avec le premier morceau de la mixtape, Stake Sauce.
– Track : Stake Sauce
F.T.S. - Money Motivated (2000)
– Koursky Lion
Seattle a été mis sur la carte du rap au début des années 90 par Sir Mix-A-Lot et son Baby Got Back qui aura su surfer sur la vague Miami Bass. C’est pourtant une atmosphère moins ensoleillée et plus conforme à l’idée qu’on pourrait se faire de la localité qui se dégagera des projets du label Street Level Records notamment à travers les productions omniprésentes de son fondateur et producteur exécutif Mr. D-Sane, lequel composera presque l’intégralité des albums en plus de sa participation non négligeable en tant que rappeur. Après un premier album en 1998 F.T.S. (pour Full Time Soldiers), le groupe phare du label, sort son deuxième opus Money Motivated en 2000. Les instrumentaux synthétiques et froids sorti du synthétiseur Korg de Mr. D-Sane donnent une ambiance brumeuse et enfumée unique en son genre, qui préfigure le style adopté dix ans plus tard par Nacho Picasso, autre fier représentant de Rain City. Entamé par le bruit du tonnerre Through My Eyez est une succession d’averses de lyrics sombres des rappeurs Smoke, J-Dub et Byrdie, ponctuée d’un refrain orageux de Mr. D-Sane qui sample une punchline violente comme la grêle de Scarface (le rappeur) : Staring at the motherfuckin world with my eyes closed. Money Motivated vous étiez prévenus.
– Track : Through My Eyez
Infamous Mobb - Special Edition (2002)
– Crem
Décembre en bas des tours du Queens. Le poing serré sur les dès. J’ai soufflé pour la chance et ça a fait de la buée très blanche. A côté, sur un banc, ça parle fort emmitouflé dans du Avirex. Chaque hiver c’est pareil. Les vitrines font rêver, et les coups les plus foireux prennent forme. Il n’y a jamais de gagnants. Aux dès comme dans les sales affaires. Mais on y croit quand même, jusqu’au dernier lancer, jusqu’aux bracelets aux poignets. Putain on dirait qu’on a été fait pour cette vie, fait pour la rue. A moins que ce ne soit le contraire ?... Queensbridge et ses infâmes enfants. D’ailleurs on s’appelle tous ’’fils’’ ici. Vrais reconnaissent vrais. Toujours prêt pour tout et n’importe quoi. Toujours une mauvaise idée sous le bonnet, l’argent qui manque en leitmotiv. C’est comme marcher sur une fine couche de glace tout en sachant qu’un seul faux pas signifie le pire. Et de pareils destins l’East River en est remplie. Alors on laisse couler nos verres sur le sol... La bise se lève et s’engouffre dans les moindres recoins. Impossible d’y échapper. Un froid sec et cinglant qui fait rentrer les têtes et relever les cols. Le blizzard est là, la neige a recouvert le quartier. Coupée et dosée pour qui peut payer. Elle est la source de nos méfaits, nos malheurs et nos soucis. Et ce sera comme ça jusqu’à la fin. Parce-qu’un eternel hiver traverse nos vies.
– Track : IM3 (prod. The Alchemist)
Jacques Brel - Infiniment (2003)
– LK de L’hotel Moscou
Je triche un peu parce que je l’écoute toute l’année, mais il y a quand même tellement de chansons du grand Jacques qui sentent le vent glacial de la mer du Nord, qui ont la couleur grise du ciel de Flandre, qui évoquent la pluie froide qui coule sur les briques rouges des immeubles et les pavés des rues de Bruxelles ou de Londres... Jacques Brel est pour moi un des artistes définitifs de l’atmosphère qu’on ressent entre décembre et mars au-dessus du cinquantième parallèle. Il m’accompagne chaque hiver depuis des années. Je l’écoutais à Paris en pensant aux potes laissés en province, à Boston en pensant à la fille laissée en France et jusqu’à Londres en pensant à ma jeunesse laissée dans le passé. N’importe où autour du monde, je l’écoute à chaque fois qu’il gèle dehors et que le ciel est sombre. J’aime déprimer en regardant les gouttes et la buée sur les fenêtres et en m’imaginant marin dans un cargo en direction d’Amsterdam. Oui, alors je sais, techniquement, on n’est pas sur un album, mais sur une compilation. N’empêche que la tracklist est bien faite et regroupe les titres qui m’ont le plus influencé dans ma manière d’aborder l’écriture et l’interprétation.
– Track : Amsterdam
Ka x Preservation - Days with dr Yen Lo (2015)
– Manu Makak
En dépit de l’apocalypse climatique en cours, on entame cette année encore un nouvel hiver sacrément glacial, entre logorrhée fasciste et contraintes sanitaires absurdes. De quoi faire sombrer dans la misanthropie les cœurs les plus purs. On ne va pas mentir : on avait un peu d’avance par ici, et une propension certaine à la solitude, d’où découlent naturellement un amour immodéré pour l’hiver, saison des bunkers, et les albums concept – les disques-mondes. Alors chaque année, quand dévalent les brouillards givrants, on ressort gaiement nos albums de Ka pour s’immerger avec délice dans les limbes de la dépression. Difficile de n’en choisir qu’un dans une œuvre aussi cohérente et implacable, mais celui-ci est peut-être son opus le plus radical, comme en témoignent les titres – de simples numéros accolés au mot « Day », assez raccord avec la (cinquième) vague sensation de traverser un jour sans fin. Et si le néo boom-bap spartiate a le vent en poupe récemment, Ka en est, avec son camarade Roc Marciano, le godfather incontestable : en 2015 déjà, il balafrait d’une voix qui a trop vécu de longs samples étirés, rythmique à peine audible les rares fois où il y en a une. Un disque étouffant et sinistre comme les temps, agencé pour ne rien gâcher autour de répliques tirées du grand thriller parano de Frankenheimer The Manchourian Candidate, l’histoire d’un soldat cainri conditionné par un docteur ennemi à trucider le président US. Hypnose, rimes riches et régicide, un programme idéal pour la saison.
– Track : Day 912
Juelz Santana - What The Game’s Been Missing ! (2005)
– Dela/Butter Bullets
Juelz Santana, il avait tout pour devenir roi. Quand What The Game’s Beeing Missing ! est sorti au début de l’hiver, je venais à peine de mettre mes pneus neige. 2005, une belle période ou on allait à des concerts en arborant fièrement le même turbandana que Juelz avec à la main des mélanges louches dans nos bouteilles de soda. Le DJ pouvait passer Mic Check ou même There it Go, tout le monde connaissait et sifflait le refrain. On portait nos casquettes aussi grande que lui juste pour pouvoir y mettre nos capuches en hiver. Un album frais, qui sent les courant d’air des rues de New-York. Un son Dipset minimal et plein de samples qu’on reconnait dès les premières mesures, New-York on disait ! On a même droit aux voix pitchées que j’affectionne particulièrement dans Daddy ou Lil Boy Fresh. Juelz, insolent, avec un flow différent tout au long de l’album, des placements de fou là où tu ne l’attends pas. Rien de mieux qu’une après-midi snowboard avec Kill em, Violence ou I am Crack pour te motiver dans les oreilles ! L’album est complet, tu peux même aller rider tes pneus neige avec Whatever you Wanna Call it. Et en tant qu’horloger, évidemment que Clockwork me parlait directement. Plus d’une dizaine de producteurs sur le projet final, plus de 160 titres enregistrés pour au final accoucher d’un vrai disque de rap d’Harlem. Il aurait dû être roi. Don’t Watch Me, Watch TV.
– Track : I am Crack (prod. Reefa)
Krucifix Klan – Fuckin’ Wit Dis Klan (2004)
– Tibo / La Phonkerie
On entend, au loin, un hélicoptère en approche. Quelques chants d’oiseaux, le souffle d’un vent froid. Test micro. Darling Davis, journaliste à la TV locale, interroge John Hicks, pasteur de l’église du Pouvoir Divin, qui vient d’enterrer un condamné à mort récemment exécuté. Problème, le mort a ressuscité : le Révérend Hicks évoque la destruction de Sodome et Gomorrhe, il explique que nous sommes punis pour nos péchés. Les morts se réveillent et le jugement denier est proche. On entend des râles, des cris, des coups de feu. L’homme d’église se lance dans un prêche désespéré et se fait bouffer la joue par un zombie. C’est la Nuit des Morts Vivants, repris en intro de Fuckin Wit Dis Klan, le 1er album du groupe fondé par Evil Pimp. On plonge tête baissée dans les ténèbres, triplet flow sur samples angoissants et cloches funèbres, le tout saupoudré de Yeah Hoe typiques de ce rap crade du Tennessee, qui continue d’inspirer des générations d’amateurs de Phonk en quête du grand frisson. Pourtant, Evil Pimp et son Klan ne viennent pas de Memphis, mais de l’Iowa, où les hivers sont plus froids et plus enneigés, où seulement 3 rappers sont référencés par Wikipedia en cette fin d’année 2021… Mais méfiez-vous, il n’est pas impossible qu’Evil Pimp invoque Satan et ressuscite le Krucifix Klan par une froide journée de décembre, pour se livrer à un rituel macabre où il ne sera question que de démons, zombies et weed sur des roulements de TR 808. Joyeux Noël !
– Track : Don’t Ever Fuck Wif Me
Natas - Godlike (2002)
– Krapulax
En l’an 2002 avant notre ère de maintenant, le groupe Natas de Detroit formé par esham the Unholy et ses potes de lycée Mastamind et TNT (RIP) sortait un sixième album, Godlike, comme en réponse au beef artistique qu’entretenait esham contre Eminem et D12 et qui s’est soldé par une bagarre sanglante entre les deux groupes – c’était en backstage de l’énorme Warped Tour 2001, esham est resté quasiment sourd d’une oreille à cause d’un méchant coup de bouteille (on voit son sang dans le DVD, il s’est filmé juste après la rixe, en fait il filmait D12 depuis son van de tournée et c’est parti en couilles), puis les deux groupes se sont fait virer dès les premiers jours de cette prestigieuse tournée qui aurait pu aider esham à se faire connaitre au-delà des frontières du Michigan et de son affiliation avec Insane Clown Posse. Bref, tout ceci est certainement fort regrettable mais amène néanmoins Natas à signer un de leurs albums les plus mal intentionnés que je ressors très régulièrement mais plus spécialement en hiver pour deux raisons : d’une, je n’ai pu recevoir et donc écouter le CD sorti en mai qu’en décembre 2002 et je me souviens encore très bien de cette journée, et de deux, c’est un album obscur de Detroit 7MILE qui a une production comme de l’eau froide, des beats incisifs et acides avec des gros synthés et des caisses bien clairs, même un peu "indus" parfois, qui servent de supports à des raps agressifs et tout sauf chaleureux, bourrés de défiance et de mauvaise humeur – en d’autres mots, c’est un truc qui va très bien quand ça va pas et qu’on a la haine. Ça arrive quand ça caille et qu’il fait tout le temps nuit. "Un album glacial et mordant," pourrait-on lire. Mais qui réchauffe le cœur quand on l’aime beaucoup. "Mic’ me up, so you can hear the Almighty." Ils étaient tous très au top de leur style à cette période. Godlike, qui porte si bien son nom malgré le nombre qu’on peut lire en filigrane sur la pochette de l’album, est une œuvre à part, je crois, et je trouve que les beats défoncent toujours aussi bien mes enceintes dans la voiture en hiver.
– Track : Godlike
Ricky Hil - Support Your Local Drug Dealer (2011)
– Jocelyn Anglemort
« Time has to pass. But sometimes its so goddamn long. Sometimes it just seems to drag and drag and weigh a ton. And hang on you like a monkey. Like its going to suck the blood out of you. Or squeeze your guts out. » Si cette citation est tirée du bouquin “La geôle” d’Hubert Selby Jr., elle aura pu tout droit sortir de la mixtape SYLDD de Ricky Hil, puisqu’en racontant les pérégrinations mentales d’un accro à l’héro croupissant au mitard, l’auteur explore avec force détails les sensations – physiques et mentales – inhérentes à l’addiction et à l’isolement, et préfigure les thématiques chères au rappeur. A une différence près : pour Ricky, la prison se veut dorée car en bon rejeton du créateur Tommy Hilfiger, on peut dire qu’il est né la cuillère en argent bien plantée dans le museau. Et chez le rappeur comme chez l’auteur, il est justement question de cuillère, surtout celle qu’on chauffe au briquet une ceinture bien tenue entre les quelques chicots qui tiennent encore le choc. Avec ces 11 chansons à faire déprimer un cadavre, nous tenons ici un bon disque de white trash bourgeois faussement rebelle qui tue le temps dans la défonce et au sein duquel on ne s’excuse qu’à moitié pour ses addictions. Ricky assume les yeux dans les yeux de crever un peu plus chaque jour, qu’importe ce qu’en pensent les autres. « Everybody just staring me down. But I don’t care. I still ain’t there. » Un isolement physique et mental - les amoureuses cassant leur pipe prématurément - seulement brisé par quelques baises endormies et sans lendemain (« Sit on my face when im laying on the floor »), une solitude à peine rompue par quelques apparitions fantomatiques, celle d’un vendeur de cailloux venu chanter de sa voix grave son amour du produit (Fat Trel) ou celle d’un client (in)fidèle venu chanter de sa voix suave son amour du produit (The Weeknd). Comme dans les projets de ce dernier, on retrouve d’ailleurs dans ce SYLDD un talent indéniable pour produire un RnB 200 % spleen, où le cul rend triste et où la drogue gâche la nouba (et vice-versa). En cette période de festivités, le disque parfait pour se réchauffer au zippo jusqu’à rouler sous le sapin.
– Track : M.O.M. (Ft. Fat Trel)
ScHoolboy Q - Oxymoron (2014)
– Kedy
Quand on m’a demandé de choisir un album que je ressors chaque hiver, j’ai tout de suite pensé à New-York et son combo Goose-baggy-Timberland sur un fond d’Infamous Mobb ou The 36th Chambers. J’aime les contradictions et le contre-pied, comme l’artiste dont je vais parler, qui a sorti Habits and Contradictions en 2012, raison pour laquelle j’ai opté pour un album de Los Angeles. De la 51e rue plus précisément, quartier Crip entre Figueroa et Hoover street. Troisième long format de ScHoolboy Q, Oxymoron sort en plein hiver 2014. Il est le projet le plus ambitieux de TDE après les sorties de Follow Me Home de Jay Rock et du classique Good Kid M.a.a.d City de Kendrick Lamar trois ans plus tôt. Si le premier single Man of The Year était plus festif et dépegnait le mc comme l’homme de l’année (les ventes de bucket hat peuvent en attester), Break The Bank était plus sombre et froid, comme une nuit d’hiver à L.A. Dans une ambiance digne de Cypress Hill, Q se donnait de faux airs de B-Real sur ce morceau. Sur des prods d’Alchemist, Boi-1 Da, Mike Will Made it et toute la crème des producteurs du moment, Quincy livrait la ride hivernale parfaite. Véritable classique et pour beaucoup, meilleur album du label TDE, Oxymoron reste un de mes albums préféré sept ans après sa sorti, et que j’écoute chaque hiver. Chaque été aussi. Tous le temps en fait.
– Track : Break The Bank (prod. The Alchemist)
SpaceGhostPurrp - Mysterious Phonk (2012)
– DirtNoze
On en a déjà pas mal parlé par ici alors j’ai hésité à le ressortir encore une fois mais la musique idéale à écouter dans la grisaille et le froid reste pour moi celle de Markese Money Rolle. J’aimerai dire que, quand l’envie me prend de relancer un album de Spaceghostpurrp, je m’écoute religieusement Blackland Radio 66.6, sa mixtape qui m’a le plus marqué et grace à laquelle je l’ai découvert lui et le reste de son klan en 2011. Comment ne pas tomber amoureux de sa pochette dégueulasse et pleine de têtes de mort, de ses DJ tags tout droit tirés de film d’horreur de seconde zone et de son souffle vieille cassette enterrée trop longtemps au fond du jardin. Mais en vérité c’est bien Mysterious Phonk, le premier album officiel de SGP, sorti sur 4AD, le label de Bauhaus et des Pixies, que je me remets à chaque fois dans les oreilles. Il reprenait des morceaux déjà sortis sur ses tapes mais enfin dans une version propre et masterisée. Vaste conglomérat de boucles bruitistes, de nappes synthétiques et de raps fainéants et nihilistes, le phonk mystérieux et hypnotique du fantôme de l’espace nous prend comme une fièvre cabalistique, le soleil refuse obstinément de briller, le six se transforme en neuf et on ne sait plus trop si on a chaud ou si on a froid.
– Track : Mystikal Maze
Stu Hustlah & Lil Juu - Lillie Street Is the Street (2014)
– Irandal
Quels sont les ingrédients nécessaires à un bel hiver ? Si vous pensez à une ville enneigée et à Mariah Carrey, vous êtes au bon endroit. Mais attention, il n’est nullement question de fêter Noël en faisant un joli bonhomme de neige avec l’élu de votre cœur. Non. Il s’agit plutôt de rejoindre Stu Hustlah & Lil Juu et de s’asseoir en silence sous un porche, au coin de Lillie Street. Sorti en tout début d’année 2014, ce disque est non seulement un classique absolu du Dope Boy Blues du Midwest mais également un de mes disques préférés de la dernière décennie. Les samples de tubes de R&B (au point que l’album a malheureusement disparu des plateformes de streaming) et les voix pitchées à l’extrême viennent se mélanger à l’âpreté des paroles des 2 camarades du Murder Gang. Sans jamais la glorifier ou la renier, ils racontent leur vie de trafiquant, cette vie pleine de contradictions entre l’ambition de réussir, de s’enrichir et la tristesse provoquée par la violence que ce quotidien induit. Pendant 15 morceaux, Stu Hustlah & Lil Juu nous proposent tout simplement de les accompagner à travers les rues de leur Fort Kaine, de célébrer avec eux leurs succès, de partager leurs doutes sur ces activités illicites foncièrement éphémères, de verser quelques gouttes de liqueurs pour leurs disparus et enfin d’allumer un joint et de regarder ensemble - mais toujours en silence -, la neige tomber et recouvrir les allées.
– Track : Sit in Silence
Wu-Tang Clan - Wu-Tang Forever (1997)
– MoTheDude
A un moment, faut pas tortiller du fion. L’hiver c’est les doudounes, les Tim boots, les sweat à capuches. Y a un peu de marche jusqu’au dernier métro. S’il est déjà passé, faudra se les geler sur le bitume jusqu’à la casa. Et dans ce cas, mieux vaut avoir une bonne équipe, des gars solides sur lesquels on peut compter. Si en plus ils te lâchent un double album c’est cadeau, tu peux marcher des heures, y a pas de problème. On parle de mon album préféré du Wu. Je l’ai en triple exemplaires, en CD, LP, mp3, wav, flac, tout ce que tu veux. Je veux être sûr de pouvoir l’écouter jusqu’à ma mort au moins une fois par an. De préférence quand les températures chutent. Si je dois choisir dix skeuds et jeter tout le reste, il sera dans les dix. Si c’est cinq ou trois, pareil. L’amour en musique, c’est subjectif et irrationnel. C’est de la brique new-yorkaise non coupée bien que RZA se permette de modifier un peu la génétique de ce qui faisait sa formule sur le premier album et les premiers solos des membres du clan. Et ça fonctionne tellement. Fuck les tatillons : ’’Quand même c’est plus tout à fait…’’. Shut up man ! Ce que RZA tente, les sonorités synthétiques, les nouvelles textures, sa façon de dépoussiérer la recette, tout en gardant une identité Wu, c’est parfait. Ma came à 100%. Les autres prodos du projet sont au diapason, d’façon c’est lui l’exécutif. Y’a pas une merde sur ce double album. Même les tracks moyens sont cools. Y’a des atmosphères incroyables, y’a même des morceaux un peu laidbacks sombres. Y’a de la tristesse, des ambiances lourdes comme un flocon de neige truffé de plomb, et y’a un paquet de bangers. Du rap. Les MCs sont au taquet, ça découpe dans tous les sens, chacun dans son style, avec sa voix, son flow. Téma comme il est flex Method, avec sa voix grasse. il force pas, c’est précis, c’est smooth criminel. Putain de shit. Pis le livret, la galerie de photos, avec leurs outfits et les attitudes, et le Wu Wear... Comment je rêvais à l’époque. Suffisait de mettre un hoodie et un baggy. Mais sur eux ça rendait mieux, forcément. L’hiver c’est fait pour écouter les classiques. Pour se rappeler qu’on est dans cette merde de rap depuis longtemps et qu’on y a consacré trop temps, trop de neurones et de pognon. Ça nous a niqué la tête, on s’en remettra jamais. On est con avec ça, mais c’est trop bien.
– Track : Triumph (prod. The RZA)
Tracklist
- Intro
- SpaceGhostPurpp - Mystikal maze (prod. by SpaceGhostPurpp)
- Alchemist & Curren$y - Ventilation (prod. by Alchemist)
- French Montana & Max B - Stake sause (prod. by Dame Grease)
- Stu Hustlah & Lil Juu - Sit in silence
- Eazy Racks - SWV
- Krucifix Klan - Don’t ever fuck wif me (prod. by Evil Pimp)
- Schoolboy Q - Break the banj (prod. by Alchemist)
- F.T.S. - Through my eyez
- Clipse - Intro (prod. by The Neptunes)
- Juelz Santana - I am crack (prod. Reefa)
- Ricky Hil - M.OM. feat Fat Trel (prod. by Blended Babies)
- Wu-Tang Clan - Triumph (prod. by RZA)
- 7L & Esoteric - Grace of Gods feat Rise (prod. by 7L)
- Infamous Mobb - IM³ (prod. by Alchemist)
- Natas - Godlike (prod. by Esham)
- Ka - Day 912 (prod. by Preservation)
Bonus track : Jacques Brel - Amsterdam
Mix : Tis
Cover art : Dirt Noze