Summer Camp #6 : Édition 2021
Sélection d’albums pour affronter la chaleur
, le 17 juillet 2021
Comme chaque année quand les journées se font plus chaudes et les soirées plus longues, nos crocos posent leurs lourdes carcasses sous le porche pour se faire écouter leurs albums de l’été préférés, une glacière bien remplie toujours à portée de patte.
3X Krazy – Stackin’ Chips (1997)
– Tibo BRTZ / La Phonkerie
Tout commence avec Keep it on the Real : n’ayons pas peur des mots, c’est un des plus grands tubes de la Bay, voire de cette Californie des années 90, métaphore de la vie cool pour les petits français qui découvraient les synthés aigus et les grosses basses rondes d’Oakland et Vallejo, en rêvant de barbecues et de lowriders devant le soleil couchant du Pacifique. C’est le seul vrai tube du groupe, sur le seul de leurs quatre albums qui a marché commercialement. Après Stackin Chips, les trois membres se lanceront dans des carrières solos : Keak da Sneak et Agerman ressortiront un projet ensemble sous le nom de Dual Comittee, le duo qu’ils formaient avant de créer 3X Krazy avec B.A. Keak da Sneak continuera une longue carrière solo et donnera ses lettres de noblesse au HyPhy. Agerman s’orientera vers le Gospel Rap et sortira aussi une petite dizaine d’albums, et B.A. fera son chemin avec de son côté quatre albums. Stackin’ Chips voit le jour en 97, sur Noo Trybe, un label dépendant de Virgin. On y retrouve quelques grosses têtes de la Bay au micro, notamment E-40, Dru Down et Yukmouth. Côté production, ce sont aussi des pointures locales à la manœuvre, Tone Capone et One Drop Scott. L’album est mixé par le légendaire Mike Dean, la pochette est signée Pen & Pixel. On est complètement dans ce mélange de saveurs californiennes et sudistes, qui a donné tant de morceaux précieux et inaltérables. Bon, c’est vrai que ça marche moins bien si on l’écoute un lundi pluvieux, coincé dans une rame bondée de la ligne 13. Mais en fermant les yeux, on se laisse forcément emporter par ce merveilleux sample de 52nd Street, que les rappeurs de la Bay continuent de piller régulièrement.
– Track : Keep it on the Real
Crime Boss – Conflicts & Confusion (1997)
– Dirt Noze / Mixtape covers
Pour la pochette de son deuxième album chez Suave House Records, Crime Boss soigne la pose, le feutre légèrement de travers sur sa permanente de proxénète et la manucure impeccable, filtre « golden hour » et titraille en or massif. Le contenu, constitué d’orgues poisseux, de grosses basses lourdes et de rap de prédicateur de mauvaise augure est tout autant peaufiné. Dans le monde de Crime Boss, la trahison est monnaie courante, les armes crachent le feu, les hommes perdent la raison et les mères pleurent leurs fils. Deux ans après le déjà excellent All in the Game, le patron du crime, qui avait débuté comme simple porte-flingue chez 8Ball & MJG, perpétue ici ses élucubrations criminelles sur des instrumentales toujours plus teintées de G-Funk sudiste, froides et inquiétantes, concoctées avec vice par T-Mix, le maitre des lieux, assisté de CMT et E-A-Ski. Une musique conçu pour accompagner les lents travelings à travers la fenêtre passager. Peu importe les paysages, un littoral bordé de palmiers ou le parking d’un Jardiland, pour se laisser emporter dans les histoires sombres du patron, ce qui compte c’est le mouvement. Et en cas de grosses chaleurs, les sirènes glauques dégueulées par les intrus du criminal mastermind de l’Arkansas feront directement baisser la température de l’habitacle d’un cran.
– Track : Conflicts & Confusion
Do Or Die – Picture This (1996)
– Monsieur Connard / Soundcloud
Je vis dans une ville ou il ne pleut pas l’été, l’air y est rare, l’atmosphère est pesante. De manière assez récurrente je m’écoute le Picture This de Do or Die, propice à l’été et aux déplacements nocturnes sur asphalte brulant. ’’Do you want to ride ?’’ Gobelets d’alcool fort, joint pur, flow rapide et chantant sur des beats lents. Je n’habite pas H-Town mais ça tombe bien Do or Die, non plus. Cette shit sort tout droit de l’Illinois, une de ces nombreuses bizarreries qui jalonnent l’histoire du Hip-Hop. ’’Can you smoke and ride ; With a playa, like me, and you, oh babe’’ Johnny P et ses chants mélancolique, les flows sont ensorcelants comme les premiers effets d’un apéro nocturne. Produit principalement par The Legendary Traxster (et Mike Dean sur une prod) les instrus sont riches, les mélodies évolutives et les rythmes syncopés ; une science de l’arrangement qui donne envie de se déplacer, calme et sûr de soi, léger mais toujours sur ses gardes.
– Track : Po Pimp (Featuring Johnny P & Twista)
Tha Dogg Pound – Dogg Food (1995)
– Kedy / O.G.
1995, le monde est encore traumatisé par l’arrivé du G-funk et les classiques que sont The Chronic et Doggystyle produit par Dr Dre chez Death Row. Les G’s de L.A. ont la dalle et le public, lui aussi, est loin d’être rassasié. C’est ce moment que choisissent Tha Dogg Pound, formé de Dat N***a Daz et Kurupt pour ramener un dernier repas, ou plutôt la pâté pour chien avec leur premier LP Dogg Food. Dernière pièce de ce qui ressemble à une trilogie, cet album reprend la ride là où Doggystyle s’est arrêté, démontrant que Daz, en plus d’avoir les entrées les plus fracassantes du game, est un des meilleur producteur dans ce style, et que Kurupt est un des meilleur M.C de tous les temps. Si les deux crips de Long Beach voulaient prouver qu’ils étaient bien plus que des seconds couteaux, le pari a été relevé avec l’art et la manière. Véritable no skip album qui s’écoute en toute circonstance, en caisse, en bbq/piscine, ou en soirée, les morceaux s’enchaînent et sonnent comme la b.o parfaite d’un bon été. Tous les Doggs sont présents, Snoop, Nate ainsi que les légendaires chanteuses que sont Nancy Fletcher, Val Young et Michel’le. Ez Dicc est toujours là lui aussi, et même Barry White qui place un s/o au groupe dans l’incroyable Smooth. C’est pour moi l’album ultime pour la saison des grosses chaleurs, et qui n’a pas pris une ride en 26 piges. 26 ans putain, ils avaient raison, DPG, c’est for life.
– Track : I Don’t Like to Dream About Getting Paid (feat. Nate Dogg)
Eightball & M.J.G. – In Our Lifetime (1999)
– Crem
Chevy Monte Carlo, candy paint et gros pétards à l’arrière (on va dire ’’nail artists’’ pour pas dire putes). A fond dans le cliché, direction plein Sud. Memphis Tennessee pour être précis. L’air et lourd et les sièges collent. Ça transpire gras dans l’habitacle, et ça sent la marinade de poulet et le supplément bacon. Le cendrier est plein de mégots de Newport. La fin du voyage est proche. Ca tombe bien, The Bottom Line de O.V. Wright vient de se terminer et pour notre arrivée à M-town il nous faudrait du plus pêchu. Du local qui tape de préférence. C’est là que les deux pionniers du cru 8Ball & M.J.G. doivent faire leurs entrées. Du Rhodes, de l’orgue et de la wah-wah à tout va. On y est. Et bien. T-Mix, et Mr DJ sur trois tracks, ne dérogent pas à cette tradition sonore sudiste, et y ajoutent cependant quelques touches synthétiques en cette fin de millénaire. Attention. On décolle pas non plus pour Saturne comme chez les copains/voisins d’Outkast (en featuring sur un titre d’ailleurs). On reste à Memphis quand même. Patrie de la Stax pour toujours et à jamais. Pour le duo ce quatrième album est le dernier a sortir chez les texans de Suave House Records. Un run légendaire commencé en 1993 avec Comin’ Out Hard. Un carré d’as souvent oublié à l’heure des classements, tier lists, podcasts et autres tables rondes niaises et insipides. In Our Lifetime c’est la fin du périple, la dernière heure de trajet. Quand on fini par apercevoir les rives du Mississippi et qu’on commence à planifier la soirée. Demain on ira bouffer cajun histoire de changer, Puis si la motivation est là on poussera jusqu’à Graceland. Comme ça. Pour voir.
– Track : We Don’t Give a Fuck
Gook Gotti & Easyyy – Careless (2018)
– Irandal The Beanchaser
Careless aurait pu être un simple Buddy Movie, l’histoire d’un après-midi de détente sur le Lac Erié en charmante compagnie, mais le disque des deux compères du nord d’Akron s’avère être plus que ça. Si la voix nasillarde de Easyyy nous transporte à bord de cette embarcation où, dans la moiteur estivale, le Henessy coule à flot, l’âpreté du flow de Gook Gotti nous ramène vite dans la réalité de la Valley. Tout au long des 12 titres du disque, on se balade entre le pont du bateau où le seul objectif est de profiter au maximum des plaisirs de la vie et les rues d’Akron où il s’agit avant tout de se défendre contre les rivaux, de protéger ses proches et d’échapper à la police. Cette dichotomie se retrouve également dans l’ambiance sonore du projet : on passe de purs morceaux de Dope Boy Blues, de Mob Music du Midwest avec tout ce que cela implique à des chansons de rap influencées par ce qu’il se passe dans les autres scènes des Grands Lacs. "Wave" pourrait être la version aquatique du "Meet Us Outer Space" de Drego & Beno quand "Mob" est l‘hymne fier de la Valley et de ce rap de rue dur venu de la Bay Area. L’enchainement des morceaux nous donne cette impression qu’Easyyy et Gook Gotti cherchent réellement à lâcher prise comme quand ils laissent leur amie prendre la barre du bateau mais qu’ils ne peuvent jamais totalement le faire, hantés par la violence quotidienne, par le souvenir des copains disparus et l’envie de retrouver ceux emprisonnés.
Au final, Careless ressemble à ces promesses de profiter pleinement des vacances, d’oublier la vie quotidienne, de déconnecter pleinement des siens, ces promesses qu’on tient si rarement.
– Track : Drive The Boat
Greenova South – Kome Ryde With Us (2018)
– Jocelyn Anglemort
Pepperboy, Squadda B (moitié de Main Attrakionz), Young God (moitié de Blue Sky Black Death), MISHKA. Une histoire du cloud rap, une histoire du rap d’internet, une histoire du rap tout court. Rien que ça. En réunissant des acteurs centraux d’un sous-genre dans la richesse des arrangements et des mélodies continue à fasciner (nous les premiers), Greenova South livre un disque dans lequel il faudra se plonger tous les foutus étés d’une vie pour en déceler la puissance. Si l’on trouve encore des traces des inspirations trap que BSBD avaient infusées dans le cloud menaçant de Nacho Picasso et Deniro Farrar, les flows neurasthéniques et enfumés des deux rappeurs transportent ici les productions quelque part entre Devin The Dude (Can Ya Blame Us), Screwed Up Click (le final de I Miss Them Days) et le rap cosmique du groupe G-Side (Lamborghini Dreams, en collaboration avec 2 Lettaz justement). Point culminant de cette ride à dos d’aigle, Soul Blinded, dont les cordes plaintives renvoient à l’inoubliable So Long de Deniro Farrar, la voix rauque étant ici assurée par la légende du Sud, Mr. Sche. Une histoire du rap qu’on vous dit.
A noter : le groupe enfoncera le clou en 2019 avec un 3 Tha Hard Way du même acabit.
– Track : Soul Blinded (feat. Mr. Sche)
J-Zone – A Job Ain’t Nuthin’ but Work (2018)
– XW
Le titre de cet album dit presque tout. La pochette ? Également. Et que dire de cette l’ouverture, sur ce rot magistral ? J’ouvre les yeux posé sur une glacière pleine de bières, au milieu d’une plage devant un terrain de beach-volley sur lequel jouent les zonettes si peu vêtues. Le boulot sert à récolter la thune qu’on dilapide en un claquement de doigt en vacances. Short de bain troué à cause des boulettes, chemise ouverte jusqu’au nombril, lunettes posées sur le nez, une bière à la main. Une autre dès que la précédente est terminée. Les vacances sont punk, comme la construction des productions (sublimes) de l’album de J-Zone. L’imaginaire tourne à fond les ballons comme les samples de guitare électrique, et l’on est transporté sans transition dans une maison s’éveillant au petit matin, la gueule enfarinée, les verres de gin non terminés sur la table. Des filles que l’on ne connaissait pas il y’a 24 heures, que l’on aura oubliées cet après midi, nues sur le canapé. Gueule de bois ? Ouais. C’est les vacances. Et cet album de J-Zone a tout pour m’y faire penser - dont la petite partie de basket entre potes, et les sorties en boîte totalement dégommés. Trois quart d’heures lors desquelles mon imaginaire s’écarte, comme bon lui semble, des thèmes abordés pour ne se concentrer que sur une chose : les vacances d’adolescents de trente cinq berges. Ma définition d’un album de l’été.
– Track : Greater Later (Ft. Devin the Dude)
K-Dee – Ass, Gas Or Cash (1994)
– Jee Van Cleef / JvcMastering
Au début des années 90 Ice Cube est l’un des plus actifs représentants du gangsta rap, n’hésitant jamais à enchainer les textes les plus virulents sur des productions sentant bon la colère et la testostérone. Lorsqu’il monte tout naturellement son propre label à l’aube des mid-90’s, les auditeurs assidus du sieur Jackson s’attendent en toute logique à y retrouver des ersatzs musicaux de leur idole. Quelle ne fut pas leur surprise lorsque surgit à l’automne 1994 ce Ass, Gas Or Cash hédoniste au possible, sorte de journal de bord du petit briscard constamment à l’affut de la moindre gourgandine peu farouche, brillamment conté sur des ritournelles plus suaves les unes que les autres. Si la franche passion de Cube pour la musique de Bootsy Collins et son frère d’arme George Clinton transparaissait déjà parfois sur ses propres albums, elle atteint ici son firmament, totalement décomplexée et laissant la part belle aux musiciens de studio plutôt qu’aux samples. Mais que vaudrait un tel écrin musical sans l’artiste capable de le sublimer ? K-Dee, connu à la fin des années 80 sous le sobriquet de Kid Disaster lorsqu’il officiait au sein du groupe C.I.A., va s’imposer dès le premier morceau de l’album comme l’homme de la situation. Impossible bien évidemment de ne pas penser à sa sainteté Too $hort en écoutant ce recueil de récits frippons distillés sur des compositions sentant bon le Funk et les fluides corporels, mais l’écueil de la copie bête et méchante n’est heureusement jamais atteint, notamment grâce à la personnalité de l’auteur et son talent pour l’écriture. Même s’il emprunte parfois des chemins déjà balisés, il le fait sans jamais se dépareiller de son flegme unique et nous fait découvrir un autre South Central, troquant allègrement les boites de cartouches pour une ribambelle de condoms. "Chacun son stand de tir" semble-t-il nous dire, l’essentiel étant visiblement toujours d’atteindre sa cible. La mission est donc accomplie pour l’homme au béret grâce à cet opus musicalement imparable, traversant admirablement bien le temps et chaudement recommandé pour la période estivale.
– Track : Thought I Saw A Pussy Cat (feat. Ice Cube & Bootsy Collins)
Lighter Shade of Brown – Layin’ in the Cut (1994)
– Koursky Lion / Bandcamp
L’album de l’été parfait c’est celui qui s’écoute en voiture, en barbecue, qui caresse les oreilles des passagers ou des invités ! Le son westcoast des années 90 passe crème dans ce cadre là... Il y a pleeeein d’albums dans le style là, un des CD qui revient souvent dans mon autoradio en meme temps que le soleil c’est Layin’ In The Cut des Lighter Shade Of Brown, un album cool et positif, et le titre que j’ai retenu, c’est le premier, Dip Into My Ride, avec son petit refrain chanté pour rider dans les rues de ta ville ou de ta campagne durant ces journées ensoleillées ou nuits chaudes qu’on attend tous.
– Track : Dip Into My Ride
Lil Ramsey – Goin’ Undercover (1994)
– Redstar / Neufcube
Une mélodie qu’on dirait sortie toute droit d’un jouet Casio, un sample de violon répété a outrance, la basse qui dégueule sur le tout et vous avez la recette pour produire un pur Memphis shit des 90s. Sortie en 1994 sur l’album Goin’ Undercover, le morceau Game Fucked Up dénote de la scène de l’époque. Pour preuve, l’arrivée de Tommy Wright III, une pelle dans la main, en fait un classique de l’underground. Et ils étaient sérieux, ça ne kick pas pour le fun, mais pour fucked up le game. Et il fallait rendre hommage a Lil Ramsey car cela fera presque plus d’un an qu’il nous a quitté. Game Fucked Up l’immortalisera et on comprend la peine qu’ont eu les membres du crew Ten Wanted Men après avoir enterré Princess Loko puis Lil Ramsey.
REST IN PEACE – (You don’t know who you fucking with)
– Track : Game Fucked Up
Nelly – Nellyville (2002)
– MoTheDude / En peignoir
Non, Nelly n’est pas qu’une égérie Hansaplast, c’est aussi l’auteur d’au moins deux bons albums gorgés de ces country rap tunes qu’on aime, qui parlent aussi bien aux jambes qu’à la tête, faites de boîtes à rythme et de (vraies) percussions, de guitares funky et de cuivres synthétiques, comme il y en eut tant entre 2000 et 2010, l’autre âge d’or du rap américain. Bordel ! Oui j’ai envie de jurer parce que j’ai pas les mots pour dire à quel point j’aime cette musique de la sunbelt, ou plutôt ici de la cornbelt et du Midwes, vu que Nelly est issu de la scène de Saint Louis, Missouri, m’enfin on va pas chipoter, vous avez très bien compris ce que je voulais dire. Nellyville n’est pas ouvertement taillé pour l’été mais s’impose pourtant comme le meilleur ami de nos marcels trempés de sueur. Parce qu’il fait Hot in Herre déjà, et vu la vitesse à laquelle le climat se réchauffe, m’est avis que ce tube indémodable va (re)devenir l’hymne incontournable de nos vies cramées au CO2. Un hit absolu qui ferait presque oublier les autres très bons morceaux de l’album, qui n’est rempli que de ça, oui même Dilemma avec Kelly Rowland, cette infernale sucrerie.
– Track : Splurge
Pink Siifu & Fly Anakin - FlySiifu’s(2020)
– Boo / Grown Ass Folks Melodies
Rayonnante rencontre entre l’électron libre protéiforme venu d’Alabama, icône d’une scène artistique alternative militante… et du rapper de Virginie, figure de proue du collectif Mutant Academy, deux pieds dans un Hip-Hop puriste non moins revendicatif.
Difficile de ne pas penser d’entrée de jeu à une ambiance Dungeon Family et son légendaire binôme André 3000 & Big Boi, dans une version contemporaine encore plus flottante, toujours teintée d’une nostalgie légère mais non-passéiste… comparaison encore plus affirmée, tant l’énergie entre nos deux protagonistes est aussi complémentaire que fluide. Siifu le ciel, Anakin la terre.
Ode à une oisiveté proactive, ou comment transformer un temps libre souvent vécu par la force des choses, en un art fructueux. Le tout enveloppé ici dans un album concept, où les camarades tiendraient un record shop en pure dilettante. Nous faisant parcourir différentes influences tout au long des titres, tels des albums affichés au mur derrière le comptoir. Quelques interludes intimistes de messages sur le répondeur du pseudo magasin viennent ponctuer le projet avec humour… le tout sous influence d’effluves épicées.
Au gré de cette esthétique soulful vaporeuse, on retrouve $ilkmoney du groupe Divine Council, voisin de Fly Anakin et adoubé par André 3K lui-même… les participations bien senties de deux révélations féminines, la new-yorkaise Fousheé pour une interlude lascive… et Liv.e, étoile montante du Texas posant sur deux titres, nous gratifiant de sa poésie acérée. Dernier featuring remplit par le producteur Ahwlee, avec qui Pink Siifu forment le duo B. Cool-Aid.
Les prods parlons-en, avec un casting aux petits oignons, mené bien entendu par plusieurs des Mutant Académiciens : Ohbliv, Foisey, Graymatter… entourés de noms comme Animoss, Budgie, Lastnamedavid ou encore Jay Versace… jusqu’à la bénédiction du grand parrain en personne, Madlib.
Ce premier projet collaboratif nous soumet un trip auditif nonchalant, tel un jazz aérien émanant de l’asphalte.
– Track : Open up Shop
Redman – Muddy Waters (1996)
– KallMeTheDoctor
Redman. Non, il ne s’agit pas du personne du héros préfété de Timmy Turner, mais de l’emblématique rappeur, auteur, compositeur, producteur et acteur Reginald Noble. Son troisième album solo Muddy Waters sorti en 1996 en est la preuve. Un projet composé quasi-exclusivement par Erick Sermon et lui-même, avec toutefois la présence remarquée de Rockwilder qui a pondu la grandiose instrumentale de Case Closed. Pour la petite histoire, Erick Sermon est l’architecte derrière le beat du poème de Ludacris, Hip Hop Quotables. Cet album aux ambiances à la fois chaleureuses (Da Bump) et froides (Case Closed), semble davantage destiné aux prolétaires et amateurs de substances hallucinogènes dans un premier. Cependnat, lorsqu’on s’y laisse prendre, ce savant mélange crée une atmosphère légèrement estivale. Ce qui lui a valu une 12e place Billboard 200 ainsi qu’un disque d’or grâce à ses 500 000 copies vendues. Malheureusement, l’histoire aura surtout retenu son rôle dans How High ainsi que son apparition d’anthologie dans MTV Cribs.
– Track : Smoke Buddah
Rohff – Le Cauchemar du Rap Français : Chapitre 1 (2007)
– Golgo / Moggopoly
Je pourrais parler du contexte très particulier de la sortie de cette mixtape, qui la rend peut-être encore plus importante et unique, mais je préfère rester sur l’aspect musical. Déjà, dès l’intro du projet, Housni et DJ Mosko nous mettent un extrait du docu de MCM pour La Fierté des Nôtres (qui sera disséminé un peu partout dans la tape), puis quelques secondes plus tard, un medley de ce qu’a fait le rappeur de Vitry entre 2004 et 2007.
Et voilà qu’on rentre dans le vif du sujet avec Numéro 1, sur la face B de Deep Cover, où on jongle entre egotrip, storytelling lugubre et humour strident.
En parlant de face B, on voit bien que le rappeur du 94 se fait vraiment plaisir avec Kery James et Dragon Davy, ils font une version Val-de-Marnienne de California Vacation de The Game, Snoop Dogg et Xzibit. Sur La Crise il reprend le triplet flow dont Balastik Dogg et Seno étaient les seuls en France à s’y exercer, et cela plusieurs années avant le rappeur Migos, sur Thuggish Ruggish Bone de BTNH. Been Through The Storm de Busta Rhymes pour remixer Avec ou Sans de l’album Au-delà de Mes Limites, ou encore Vitryfenomene, un mini anthem, sur Welcome To Detroit de Trick Trick. Et sans oublier Excuse-moi, version franchoullarde du morceau de Jay-Z, mais avec plus d’humour.
Mais au niveau des inédits aussi il y a de quoi nourrir nos tympans : Gère avec Mze, le rappeur de Grigny, sur une prod dans la veine Dirty-South/Trap de cette époque. Dirty Hous (présent dans la réédition d’Au-Dela de mes Limites) dans une ambiance crunk. Frais le tube estival, Fais c’que j’te dis et On sait qui avec TLF, qui ferme le projet et annonce la sortie imminente de l’album Le Code de l’Horreur, dans un registre dont Rohff excelle sans aucune difficulté.
On pourrait parler aussi des extraits de ses freestyles anthologiques de La Fierté des Nôtres et d’Au-Dela de mes Limites qui font un peu office d’interludes, des échantillons de ses différentes participations de l’époque, mais ça serait beaucoup trop long.
Pour résumer ; c’est sûrement l’une des meilleures mixtapes de rap français, et aussi un des meilleurs projets de Monsieur Mkouboi. Car on est en face d’un projet qui correspond totalement à ce qu’on attend de son auteur : du freestyle sur des face B californienne, un enchaînement de coup de poing à un rythme quasi effréné, à tel point qu’il fasse naître une envie chez le public d’avoir un projet de Rohff 100% influence West Coast, et pour les plus téméraires, un album en commun avec Aelpeacha. Idée qui, malheureusement, n’est tout bonnement qu’utopique.
– Track : La Crise
Snoop Doggy Dogg – Doggystyle (1993)
– Tis
Doggystyle est un album majeur, un classique sur lequel tout a probablement déjà été dit. Ce premier album de Snoop Dogg sorti en 1993 chez Death Row est une pierre angulaire du rap west coast , réutilisant la recette éprouvée sur The Chronic d’usiner à outrance des samples p-funk en laissant la part belle aux claviers. Entrecoupé de skits, l’album voit une ribambelle d’invités (The Lady Of Rage, Daz, Kurupt, Nate Dogg, Warren G, D.O.C. et tant d’autres) se succéder pour accompagner Calvin Junior sur une production musicale de qualité coordonnée par le chirurgien en chef, Dr Dre.
Au sein des différentes perles distillées sur cet album (Gin & Juice, Lodi Dodi etc.), Tha Shiznit se distingue par une basse ronde et une rythmique sublimée par des accords de flûte et un refrain fredonné. Ce morceau est également un bel exemple du talent du rappeur qui signe ici des couplets freestylés avec aisance et maîtrise. Le titre idéal pour cruiser à 20 à l’heure comme dans les rues de Long Beach dans une Cadillac ’83, en écoutant Snoop et sa voix si reconnaissable nous conter cette réalité merdique et préfigurer avec sa nonchalance légendaire son succès futur.
"It’s only what I know and that’s that street life. It’s all everyday life, reality."
– Track : Tha Shiznit
Terrace Martin – 3ChordFold (2013)
– Oscar Courvoisier
Un plaisir devenu trop rare, entendre Terrace Martin à la production et derrière le micro. Comme un grand chef qui sort de sa cuisine pour vous présenter en salle ses plus belles créations, avec au centre du menu toujours l’amour et son saxophone. Entre RnB, jazz, nu-soul et rap, c’est sur le thème du triangle amoureux que vous emmènera cet album, avec une science de l’interlude et du story-telling qui vous immergera dans l’univers musical intemporel de Terrace Martin. Intemporel dans les productions mais très marqué dans le temps par le choix des invités, symbole d’une époque. En 2013 TDE pointe le bout de son nez sur la scène californienne avec la présence sur le projet de Kendrick Lamar et Ab-Soul. Le rappeur Problem, autre rookie est présent, Wiz Khalifa déjà bien installé est lui aussi présent avec son comparse du Taylor Gang, Ty Dolla $ign. On retrouve également sur le projet entre autres Robert Glasper, Musiq Soulchild, Snoop Dogg ou encore Lalah Hathaway qui ont déjà tous travaillé avec Terrace Martin précédemment. Un superbe album à découvrir.
– Track : Triangle ship
Top Authority – Somethin’ To Blaze To (1993)
– Zetray / Voyou cosmique
Avec l’émergence des shit-talkers Rio Da Yung OG, Louie Ray ou Dfb Da Packman, la ville Flint vit actuellement un nouvel âge d’or. Pourtant Flint est depuis longtemps une pierre angulaire du gangsta rap du Michigan, obtenant même un rayonnement au niveau national avant Détroit grâce au succès du regretté MC Breed dès 1991. Comme Mc Breed & The DFC ou la Dayton Family, Top Authority est fortement influencé par les scènes G-funk de Los Angeles et le style Rap-A-Lot de Houston. Sur Somethin’ To Blaze To, Shotgun et Flex tuent (Another Murder), flinguent des policiers (Pop Him) et dérobent avant de calmer leur paranoïa (Voice) en comptant l’argent du crime dans le calme du pavillon. La production impeccable de Dalo est au diapason, les basses sont souvent sèches et les synthétiseurs criards mais l’ambiance est parfois plus douce comme sur le single 93 (Things Ain’t How They Should Be) qui sample une ballade de Bernard Wright ou sur l’anti lovesong No Love (9 MM Remix).
Énorme succès local, Top Authority parviendra même à se faire un nom dans les états du Sud du pays. Malheureusement noyé dans le flot des sorties du genre de la période l’album tombera petit à petit dans l’oubli. Il est pourtant une des formes les plus pures et les plus accomplies du gangsta rap en général.
– Track : Money
Young Thug & Bloody Jay – Black Portland (2014)
– Manu Makak / Black Mirror
Ça aurait pu être 1017 Thug, qui a vu exploser un rappeur dont le blase générique et claqué n’était qu’un écran de fumée à son style imprévisible et cinglé. Ça aurait pu être Barter 6, synthèse parfaite et maîtrisée de la micro-révolution qu’il incarna au milieu des années 2010 et dont on ressent toujours les échos sismiques. Mais c’est décidément Black Portland, situé pile entre les deux, qui retrouve chaque été depuis 2014 le chemin des enceintes approximatives de nos vieilles bagnoles en vadrouille. Parce que si ces trois tapes enchaînent pareillement les tubes et recèlent la même virtuosité dans l’apparent n’importe quoi, le même avènement d’un néo dee-jaying façon sound-system post-apo – incarné par des types qui semblent ingurgiter bien plus de drogues qu’ils n’en fourguent –, il y a sur Black Portland un morceau sans lequel un été digne de ce nom ne saurait débuter, et sans lequel une soirée qui s’étire jusqu’aux aurores hallucinées ne saurait s’achever : l’irréel Florida Water. On n’a jamais bien compris ce que cette chanson racontait, bien qu’on devine qu’il y est plus question de fluides corporels que de sports nautiques ; mais l’extase dans laquelle elle nous plonge dépasse l’entendement, et c’est tout ce qu’on lui demande.
– Track : Florida Water
Tracklist
- Intro
- Lighter Shade Of Brown - Dip into my ride [prod. ODM]
- Top Authority - Money [prod. G. Valentine & Top Authority]
- K-Dee - Thought I saw a pussy cat (feat. Ice Cube & Bootsy Collins) [prod. Ice Cube]
- Redman - Smoke Buddah [prod. Redman]
- Crime Boss - Conflicts & confusion [prod. CMT & E-A-Ski]
- Pink Siifu & Fly Anakin - Open up shop [prod. Ahwlee]
- J-Zone - Greater later (feat. Devin The Dude) [prod. J-Zone]
- 3X Krazy - Keep it on the real [prod. One Drop Scott]
- Tha Dogg Pound - I don’t like to dream about gettin paid (feat. Nate Dogg) [prod. Dat Nigga Daz]
- Snoop Doggy Dogg - Tha shiznit [prod. Dr. Dre]
- Eightball & MJG - We don’t give a f**k [prod. Mr DJ]
- Terrace Martin - Triangle ship (feat. Kendrick Lamar) [prod. 9th Wonder]
- Young Thug & Bloody Jay - Florida water [prod. Tripp Da Hit Major]
- Gook Gotti & Easyyy - Careless
- Rohff - La crise [prod. DJ U-Neek]
- Lil Ramsey - Game fucked up (feat. Tommy Wright III) [prod. Tommy Wright III]
- Do Or Die - Po pimp feat. Johnny P & Tung Twista [prod. Legendary Traxster]
- Nelly - Splurge [prod. Jay E]
- Green Ova South - Soul blinded (feat. Mr Sche) [prod. Young God]
Mix : Tis
Cover art : Dirt Noze