Project Pat Pour l’amour des billets
, le 19 mai 2020
Retour sur la carrière motivée par l’argent de Project Pat
La critique est constante depuis des années : le rap new-yorkais idolâtre la culture hip-hop du plus profond de ses entrailles alors que le rap du sud ne s’est engagé dans cette cause seulement pour les billets imprimés du portrait de Benjamin Franklin. Un théorie qui pourrait être vite démantelée tellement la thématique d’avoir les poches pleines est inhérente à tout type de rappeurs, quelque soit son emplacement géographique. Mais accueillons à bras ouverts cette tendance en nous penchant sur le rappeur Project Pat, qui revendiqua haut et fort son attrait pour les piscines débordantes de papier-monnaie.
Vivre à Memphis
Le décor prend forme : des cadavres de voiture sont inertes sur le bord de la chaussée, des maisons en ruines parcourent les allées silencieuses et des junkies s’accaparent la ville, répétant en boucle qu’il n’y a pas de futur ici. Description peu élogieuse du nord de Memphis, antithèse du sud de la ville gratifié de manoirs luxueux - où Elvis Presley a écoulé de beaux jours. Dans les grandes avenues quadrillées du quartier d’Hollywood, Patrick Earl Houston alias Project Pat y passe son enfance. Cadet de la famille, Pat n’a pas un petit frère comme les autres : Jordan Michael Houston, plus connu sous le pseudonyme de Juicy J. Pour consolider cette famille, leur père est un pasteur. Cette relation triangulaire permet à Pat de ne jamais croire aux fables des hâbleurs de la rue, et d’être prêt à saisir son destin pour le malléer à sa guise. Alors il s’assigne un statut de dealer, haut-grade dans cet écosystème malsain. Une trap house vient servir de pôle central où des crackheads font des aller-retours pour y dépenser leur fric contre quelques précieux cailloux. Régulièrement, il balaye les rues en voitures, du scavenging comme il le nomme, afin de dénicher des clients potentiels et ainsi ne pas attirer la police.
Le business est fructueux mais Project Pat ne pense pas seulement à accumuler des clients. Comme beaucoup, des cassettes de rap tournent dans son autoradio. Too Short, NWA ou encore Scarface font grésiller les baffles de son véhicule. Ces artistes sont ceux qu’ils l’ont poussé à s’intéresser au genre. Dans ce mode de vie qu’ils prennent le temps de dépeindre, Pat s’identifie. Sans réel bouleversement dans sa routine, il faudra attendre que son frère forme avec DJ Paul la Three 6 Mafia pour que Patrick Houston prenne conscience que ce business peut rapporter gros. Son frère baigne dans un hédonisme le plus total, entre soirées où chacun paraît plus riche que son voisin et groupies qui défilent dans les loges. Dès les prémices, son regard se porte sur le bénéfice et les avantages que cela peut offrir.
Alors que l’industrie musicale commençait à être à sa portée, Pat doit payer très cher pour un vol dans une épicerie du coin après avoir été repéré par un agent de police sous couverture. Au début des années 90, il écopera d’une sentence de quelques mois derrière les barreaux. Sans oublier que l’un de ses clients a entre temps déclenché un incendie chez la bicoque de sa grand-mère, heureusement inhabitée lors de l’événement. Alors il faut réfléchir, méditer sur la façon d’aborder sa future vie après sa sortie de prison. Mais il ne faut pas se voiler la face, seul un capital important pourra lui permettre de s’échapper de ce coffrage. Dans sa globalité, le milieu du rap peut rapporter gros, Juicy J le lui rappelle tous les jours.
Nouvelle vie, nouvelle maille
Lorsqu’au milieu des années 90, notre bougre empreinte le chemin de la liberté, les mêmes erreurs passées ne peuvent être reproduites. Outkast est nominé aux Source Awards, la Three 6 vient de sortir son premier album, Mystic Stylez et dans toute cette frénésie, le South n’est plus l’enfant illégitime du hip-hop américain. Affranchi de toute une vie passée, il est temps pour Pat de bâtir son empire.
Lors des années qui suivent, Ghetty Green sort en 1999 suivi du morceau iconique "Sippin’ on some syrup" regroupant la bande de joyeux lurons du dirty south. "Chickenhead" devient un hit national en 2001. Pat n’est pas prêt à en démordre, les royalties coulent à flot. Tous ces artefacts qu’il a toujours convoités, chaîne en or massif, villégiature à trois étages, commencent à pointer le bout de leur nez. Pourtant, en continuant à s’aventurer dans les méandres de Memphis en conservant 3 Glocks à l’arrière de son pick-up en cas de légitime-défense, il ne tarde pas à se faire rattraper par la police. Cela le contraint une fois encore à côtoyer les murs froids et humides d’une cage pour 3 ans.
Deux cultures aux antipodes
“I’m a numbers man” déclare Pat lors d’une interview pour Vice. Si l’histoire peu glorieuse du rappeur justifie quelque peu son attrait pour le business lucratif, nous ne pouvons négliger le fait que que l’American Dream l’a agrippé à la gorge comme beaucoup d’américains. Une doctrine de l’individualisme instaurée depuis les premières colonies au XVIIe siècle et qui perdure à ce jour. Bien sûr, il serait hypocrite d’affirmer que seuls les acteurs de la scène dirty south partagent cette mentalité. Ceux ayant épousé un style de vie hédoniste sont légion et chacun d’entre nous pourrait citer une personnalité, que nous soyons limités à la nébuleuse du rap ou non. New-York ne fait pas non plus figure d’exception avec des Nicki Minaj reliée avant tout à Cash Money Records ou 50 Cent s’adonnant à une vie élitiste sans vergogne.
Cette relation passionnelle à l’égard des grosses sommes a seulement été plus explicite dès les prémices du rap sudiste. 2 Live Crew, groupe formé en Floride, s’écarte de toute prise de conscience et n’avait d’yeux que pour la fête, leurs permettant de se détacher de l’image rigide d’un New-York enseveli sous la neige. Ici, les grosses basses écrasantes s’accordent avec des lyrics légers : le puissant mélange de toplines percutantes sous une prosodie certaine où prime l’art du refrain entraînant. Un tout qui n’aurait pu fonctionner autrement et qui a permis à la Third Coast de se démarquer. Un contraste entre les deux zones se devait d’être fait. De plus, les uniformiser était peine perdue tellement leur culture et passé historique sont éloignés. Un mode de vie plus lent, un rapport à la ségrégation bien plus sévère ou même un climat subtropical donnant envie de rester chez soi et descendre des cannettes de Bud.
Pour Project Pat, difficile de se séparer de Memphis. Hormis de s’être évadé de son quartier après avoir compris que cela lui apporterait plus de problèmes qu’autre chose, Pat ne peut délaisser tout un patrimoine qu’il a tant exploité. Cette mentalité du sud est greffée en lui : faire une musique qui plait avant tout à l’auditeur, une musique pour faire “twerker les filles en soirée” comme il l’affirme. Un état d’esprit qui le pousse à s’aventurer au sein de toutes les tendances en dénichant les derniers producteurs du moment en passant par Drumma Boy ou Lil Awree, et donc ne jamais prendre du retard comme peuvent le faire certains rappeurs new-yorkais.
“I was broke pocket full of lint now I’m on the bricks / Getting paid like no other dog now I’m stackin’ chips”.
Rien n’est plus jouissif que d’attester détenir une somme d’argent invisible. Les rappeurs l’ont bien compris, et nous pouvons nous demander quel sont ceux revendiquant un style de vie hédoniste ? Sûrement bien trop. Lors d’une interview pour Complex, le journaliste lui demande s’il aime faire des concerts, et sa réponse est directement portée sur l’allègre bénéfice, en effectuant des calculs pour nous faire comprendre combien cela lui rapporte. “That’s where most of the money is” conclut-il. Par un œil de businessman averti, Project Pat cultive une vie d’épicurien, une débauche tant convoitée qu’il retranscrit dans un rap libertin. Rêver de faire rentrer de la monnaie toute sa jeunesse pour finalement en vivre est un beau pied de nez qui ne peut qu’échauffer les envieux...
Et pour illustrer ce parcours, voici une playlist regroupant quelques morceaux de Project pat, emblématiques de cette recherche matérialiste.
Artwork & Playlist : Axel Bodin