Memphis dans le rap français
Triple 6 sur l’hexagone
, le 31 octobre 2017
L’influence de la scène de Memphis sur le rap américain est indéniable. Mais qu’en est-il ici, en France ? On a demandé à des rappeurs et à des producteurs hexagonaux de nous parler de cette ville, de souvenirs liés à ce son, et de leur amour pour tout ces disques sortis du Tennessee.
Aketo Ryad
Cracheur de venin & Sniper
Début des années 2000 et de l’ère internet, les frontières et les barrières tombent, la scène rap US qui jusqu’ici était connu de la plupart via l’axe N.Y. - L.A. laisse entrevoir des scènes bouillonnantes, surtout dans le sud du pays. Avant ça, je connaissais vaguement les grands noms tel que Master P ou UGK sans m’être réellement arrêté dessus. Le souvenir des pochettes kitsch de Pen & Pixel recelaient en fait de vrais trésors.
En creusant et en traînant sur Soulseek entre autres, je découvre la scène de Memphis, Three 6 Mafia en chefs de file qui sont en fait l’arbre qui cache la forêt... Un son particulier et dark qui me séduit direct. Je vais devenir addict et me refaire tout l’historique de cette ville depuis le début des années 90 avec son lot de vieilles tapes mal enregistrées et mal mixées, ce qui fait tout leur charme. Juicy J et DJ Paul produisent une série de projets cultes, Kingpin Skinny Pimp, Indo G, Project Pat, Koopsta Knicca, Gangsta Boo et j’en passe... Sans parler de leur premier album classique Mystic Styles.
Plus tard je ferai la connaissance de Sidi Sid de Butter Bullets qui est lui aussi passionné par cette scène. Il m’invitera sur un morceau avec Project Pat, et je ferai un morceau sur une prod de son beatmaker Dela avec Mr. Sche. La boucle est bouclée !
Aujourd’hui, Memphis a perdu sa singularité et ses sonorités qui ont pour moi grandement influencé ce qui se fait à Atlanta et partout ailleurs.
– Aketo Ryad sur Twitter
– À lire : Une Petite Vie 100 Histoires
BARABARA
Rappeur/Boxeur exilé
Ce qui m’évoque le rap de Memphis c’est l’artiste La’ Chat sur le titre "Don’t sang it" de Murder She Spoke (2001).
Pour moi, La’ Chat c’est du gangsta rap sous stéroïdes, à commencer par un flow avec un sens de la métrique incroyable, et en même temps super fluide. Elle mentionne les mots "putes" et "salopes" à une fréquence plus élevée que l’empereur Al-K lui-même. L’état d’esprit c’est : du beef, du beef et du beef. Bref, La’ Chat confirme une fois de plus le dicton : ce que les hommes font, les femmes le font mieux. A part les mots "putes" et "salope", je comprenais rien à ce qu’elle disait mais j’ai eu le coup de foudre pour celle qu’on appelle la Reine de Memphis, titre disputé avec Gangsta Boo. Elle a sorti la séquelle en 2015 Murder She Spoke II et le titre You a Sanga, qui est lui-même la séquelle du morceau Don’t Sang it.
J’avais suivi un reportage sur elle titré 3-6 Mafia : they owe me millions, dans lequel on la suit dans sa vie en dehors de la scène. Quand le journaliste lui demande si elle pense qu’elle est assez reconnue comme artiste, elle donne une leçon de vie : "on est jamais reconnu autant qu’on pense qu’on le mériterait".
La’ Chat pour toujours et à jamais dans mon cœur.
– Le Barbouze sur Twitter
– À écouter : En Ford Mustang ou La Morsure du Papillon
DELA
Porsche, musique & fromage
Tout est parti de la Three 6 Mafia. Je n’avais pas Internet à l’époque mais j’avais mon pote Thin-Mak qui passait tous les jeudis avec une clef USB pour me ravitailler en sons et en clips. J’étais dans une période où je cherchais autre chose que le rap classique de N.Y. que j’écoutais et là BOOM ! Tout y était, les basses, le rythme et la noirceur. Je me rappelle le choc, les allers-retours vers Genève pour les soirées de Dj Raze et son équipe en écoutant les tapes du Krucifix Klan ou de Mr. Sche.
Et c’est présent dans notre musique depuis notre premier album avec des sons comme Wonderfull 666 en 2006. On s’était mis à boire le sirop, mélangé avec 1/2 litre de vodka, 1/4 de Get 27 et 1/4 de limonade, notre Liqwid Crack. On a vite arrêté, ça nous donnait trop mal au ventre le lendemain. On était resté scotché sur le clip de Stay Fly, un pote avait commandé le même T-shirt que Juicy J avec les têtes de mort phosphorescentes.
Je suis content aujourd’hui d’avoir pu faire poser Evil Pimp, Project Pat et Gangsta Boo sur mes instrus, une grande fierté. Le jour où j’ai finalement reçu les a cappellas sur mon PC, j’ai cru que j’allais verser une larme. Merci Memphis.
– DELA sut Twitter
– À venir : Air mès & Hermax fin 2017
– Bandcamp
FRENCIZZLE
Producteur US/Fr & NoHell DJ
Depuis que j’ai découvert le rap de Memphis via plusieurs artistes, un en particulier m’a matrixé : La’Chat, qui était sur le premier album de Three 6 Mafia Mystic Stylez, pour son coté super gang.
Plus jeune, elle avait déjà un passif dans le rap sur des projets moins exposés mais super chauds sur Memphis avec Tommy Wright III, niveau rap je pigeais rien, elle kickait en fast flow. Ensuite j’ai suivi son évolution, son premier album : grosse pépite. Il n’y avait aucun morceau typé mainstream comme on avait en France. Les sonorités, les flows etc. Il y avait un univers gangsta rap comme celui de L.A. mais en moins funky, ça donnait une couleur plus sombre au rap avec une imagerie sudiste qu’on ne connaissait pas vraiment. Il y avait des codes nouveaux, les grillz, la façon de sampler, les drums, la façon de rapper en triplets.
Son parcours est compliqué entre son départ de Hypnotize Mindz et son label Dime-A-Dozen avec son roster, mais ses projet sont cohérents et toujours dans la même lignée, même si la musique de Memphis a changé. Par la suite et par parcours de beatmakers en parallèle, j’ai eu la chance de bosser sur un track pour elle, (même si il en existe 2-3). Je suis en contact avec elle et vice versa, on a un rapport de potes, c’est au-delà du rap. Du coup d’autres sons arriveront... Elle est très impliquée pour faire découvrir des nouveaux artistes de la ville, elle fait beaucoup d’events. Perso, elle mériterait une plus grosse exposition car elle a influencé des meufs dans le rap. Yeenkno !
– FRENCIZZLE
– À venir : Nouvel EP fin 2017
– À écouter : KRAMWA$’ILL EP
LK de l’Hotel Moscou
Rappeur, producteur & hôtelier
Autour de moi, évoquer Memphis revient souvent à évoquer Three 6 Mafia et ses affiliés, surtout que je travail avec beaucoup d’artistes ayant un style avec des relents d’influence horrorcore. Pourtant le groupe qui m’a le plus marqué venant de cette ville, c’est 8 Ball & MJG.
Pour moi, leur son représente parfaitement l’évolution contemporaine du country blues, avec la bass du Dirty South, leurs accents du fond du Tennessee, leurs syncopes lentes, simples et efficaces qui m’évoque le climat chaud et humide et une alimentation à base de BBQ et de soda. J’ai aussi une mélancolie particulière de leurs musiques parce que j’ai découvert leurs sons assez tard, vers 2004, quand le Sud commençait à s’exporter vers le grand public ; et à cette période, j’étais un gosse de vingt ans qui ridait toutes les nuits avec ses potes, à rouler dans sa première 106, écouter du son, freestyler... Un son comme "Memphis City Blues" fait partie de la bande son des étés insouciants de ma vie ! C’est à cette période que j’ai découvert le Screwed and Chopped, et un des premiers morceaux que j’ai mixé dans ce style (sous le nom DJ Off-Code), c’était Relax And Take Notes.
Je crois aussi qu’un truc qui faisait qu’on accrochait au style de Memphis (ou plus largement du Sud), c’est que tout ces groupes avait un coté "country / bouseux" qui les différenciait volontairement des deux autres coasts ; et mes potes et moi, on se reconnaissait dans l’idée d’être des provinciaux dans un bled paumé et de vouloir l’assumer pour en développer une identité propre.
– LK sur Twitter
– À écouter : XANADU
MADIZM
A produit pour 66,6% du rap FR
Memphis, ça résonne tellement loin pour moi qu’il va être dur de ne pas en parler deux heures... Je vais essayer.
J’ai toujours détesté le nom de cette ville car il était accolé à Tennessee dans ma tête, et donc à Johnny Hallyday. Mais dans les années 90, je suis tombé dans le digging, la soul music et Three Six Mafia. Depuis mon regard sur Memphis a changé de A à Z. Je suis devenu Memphissien très vite. Pour deux raisons au moins. La Soul. Isaac Hayes. Un de mes génies préférés. David Porter. STAX. Booker T. La southern soul. Je suis tombé dedans. Je n’en suis jamais ressorti. Les drums, la basse, la guitare...La soul de Memphis a toujours eu un goût particulier.
Et il en a été de même pour le rap. Je prenais Three 6 pour des fous au début ; Puis très vite, avec 8 Ball & MJG notamment, je me suis mis a la scène rap de Memphis. Yo Gotti était déjà chez Jive à l’époque. Je savais que la scène allait donner naissance à de beaux spécimens d’artistes "musicaux"... Car au-delà de l’amour pour la TR-808, Memphis c’est aussi et surtout l’amour pour la musique tout court. Les mélodies. La nostalgie. Don Trip m’a toujours impressionné. Depuis, Memphis est devenu aussi un centre névralgique de la trap music avec Young Dolph, Juicy J et Yo Gotti. Dolph est le King du moment. Gotti a trusté les charts l’année dernière. Juicy est un boss à vie. Memphis est toujours là...
Quand la Mafia faisait des allers-retours fréquents entre Memphis et Dallas, ils écoutaient Willie Hutch dans la gova. Cela leur a permis de faire un tube magnifique qui restera un tube jusqu’en 3028, à savoir Stay Fly. C’est pourquoi j’ai choisi un sample de Willie pour mettre à l’honneur Juicy J, Pat et DJ Paul et leur rendre hommage. Ils ont contribué à installer cet amour de la musique qui me tient toujours debout donc je me devais de les remercier à ma façon en les réunissant encore une fois. A votre bon cœur...
#IZMRMX #MADFactory #Mercizm
– Madizm sur Twitter
– À écouter : Trap Jumpin’ Volume 1
MoTheDude
Rappeur nihiliste en peignoir
Je veux en placer une pour Mr. Sche. Je ne vais pas faire comme si je maîtrisais à fond sa disco, en réalité j’ai particulièrement écouté Supastar, un double album dont le visuel reprend purement et simplement le Supafly de Curtis Mayfield. Chaque CD à sa thématique : "gangsta pimpin" et "sex & pimpin". On ne s’embarrasse pas de subtilité superflue, c’est tout l’esprit de ce type de rappeur. Les préoccupations sont concrètes et récurrentes : survie, débrouille, et filles faciles. Ce double album concentre ce que Mr. Sche et ses nombreux potes rappeurs peuvent proposer. Morceaux sucrés vicelards et bien bouncy pour les strip clubs ("Slowmotion Girl" bordel, t’as juste envie de te faire sucer pendant toute la durée du morceau avant que ne commence le morceau Pussy Pussy qui t’oblige à inverser les rôles...), et morceaux plus rugueux et agressifs typiques de la scène de Memphis.
Ce qui me fait kiffer dans tout ça... La même chose que pour Houston, Atlanta et Nola, même si chaque région a sa spécificité : les boîtes à rythmes bien synthétiques, souvent cheap, les nappes, les bouts de samples bricolés à l’arrache ou totalement grillés, l’influence du blues qui n’est jamais loin (voir des chants d’esclaves), l’artisanat palpable derrière tout ça.
La sueur, le cul, le hood, la violence. Les flows sont particuliers aussi. D’une certaine manière je trouve ça plus riche musicalement qu’un boom bap ultra classique : plus ouvert et mélodieux, plus ample, même si à Memphis en particulier, on est globalement dans un délire sombre, lancinant ou agressif. Les refrains sont souvent faits de répétitions en questions/réponses quasi gueulées - on n’est pas loin d’une musique tribale par moment -, il y a des syllabes qu’on laisse traîner aussi, des accélérations... Bref, ça crée une sorte de musicalité archaïque totalement cohérente avec l’environnement de ces mecs-là, qui sont capables par ailleurs de lâcher des quasi balades avec refrains chantés et flows syncopés le plus naturellement du monde. Le rap sudiste dans son ensemble est de toute façon viscéral et habité.
J’en profite pour mentionner Al Kapone, légende locale sans exposition nationale non plus, c’est vraiment le même profil que Sche dont il est proche, ils ont fait plein de morceaux/projets ensemble.
– Moïse The Dude sur Twitter
– À venir : Corner EP par RBC (MoTheDude x Jubos) fin 2017 et Keudar EP (solo) début 2018
– Bandcamp
Monsieur.Connard.
Beatmaker & Memphissien convaincu
Je me suis intéressé à la scène de Memphis sur le tard, vers 96/97, dans une période où le rap new-yorkais (et par extension français) commençait à sérieusement me lasser. Trop de figures de styles obligatoires, trop de jazz. Je m‘intéressais de plus en plus à la musique électronique. Au hasard des shops de CDs d’occasions j’ai acheté un lot de rap aux covers étranges ; 8Ball & MJG, Three Six Mafia etc. Une claque direct. je ne découvrirai que plus tard la réelle ampleur créative de cette scène, il était difficile à l’époque de se procurer des disques qui ne venaient pas de New York ou L.A . (merci Internet, tu nous as sauvé).
Il y a une musicalité que je ne retrouve pas ailleurs, entre autre héritée des églises Baptistes et Pentecôtiste, mais aussi des foisonnantes scènes voisines. Blues synthétique. A fleur de peau. Une urgence palpable. Les syncopes mi-nerveuses mi-laidback répétées à l’infini sur des samples aux synthés en retrait et au ralenti. Cow bells détunées. Macabre transe, invitation au lâcher prise. 808 Kick. Martèlement chanté des MCs, des flows entendus nulle part ailleurs. Sombre Psychédélisme. Une liberté musicale rare dans un mouvement hip-hop ultra formaté. Les 90’s à Memphis devaient être d’une intensité folle, chaque projet est bricolé comme si demain n’existait pas. Pas besoin de comprendre les lyrics, flows et beats sont tellement intenses qu’ils vous envahissent. Une urgence moite. Pression atmosphérique à son comble. Je suis continuellement étonné en découvrant des tapes que je n’avais jamais écouté.
En 94 à Memphis , ils étaient déjà en 2004 en fait. Ashes 2 Ashes de Tommy Wright III sort un an après le Enter The Wu-Tang (36 Chambers). No Comment.
– Monsieur Connard sur Twitter
– À écouter : Flash Nuit
et Connard Rap FranFran Selection Modifiée Vol.2
Sidi Sid
Un genre de Chad Butler blanc
Je vais vous parler d’un vieil ami que j’ai rencontré sur SoulSeek quand il fallait une nuit pour télécharger un album.
Déjà à l’époque, il s’appelait DJ Pat. On s’échangeait des noms de groupes obscurs de Memphis que l’on trouvait souvent chez des Russes, les plus gros fans de Devil Shyt selon moi. Mon pote Pat est mi-Belge mi-Américain, il est né à Bruxelles mais vit à Memphis depuis ses 5 ans. Nous ne nous sommes jamais rencontrés "en vrai" mais c’est grâce à lui que j’ai pu collaborer avec Gangsta Boo, Project Pat ou Evil Pimp. Ce mec est une bibliothèque à lui seul, essentiellement fan deux deux choses : le rap de Memphis et la musique électronique Belge...
Trop parler pouvant tuer, on a préféré concocter une petite tape à quatre mains avec quelques-uns de nos tracks favoris, ainsi que des inédits à lui.
Enjoy.
Ps : On voulait mettre dans cette tape le morceau d’Aketo de Sniper en feat. avec Mr. Sche qui traîne depuis trop longtemps sur mon disque dur mais nous n’avions pas le droit...
– Sidi Sid sur Twitter
– À venir : Air mès & Hermax fin 2017
– Bandcamp
Veust
Lyriciste d’En Bas
Ce qui me plaît avec le mouvement de Memphis, c’est que tu trouves a peu près les mêmes codes qu’à Atlanta dans les lyrics, mais au niveau des beats ça va être un peu plus mélodieux. Par exemple avec DJ Paul qui utilise beaucoup de samples, Yo Gotti aussi même si c’est moins fréquent.
Il y a aussi un côté street que je respecte ; quand tu prends le beef entre Yo Gotti et Young Dolph, ça va pas écrire des romans sous des photos IG, ça fait des morceaux trop chauds et ça envoie des shooters.
C’est clair que ça va trop loin pour de la musique mais pour moi, en tant qu’auditeur et spectateur, ils me proposent un divertissement incroyable.
– Veust sur Twitter
– À écouter : Vitres Teintées