SahBabii Barnacles
Breath of the (motherfuckin’) wild
Date de sortie : 8 juillet 2020
, le 21 juillet 2020
Longtemps attendu comme le messie par les zélateurs du King Squid, Barnacles tombe à pic pour égayer un été des plus bizarres. Bonne nouvelle : la délicate étrangeté de SahBabii est toujours aussi réconfortante.
Shigeru Miyamoto raconte que The Legend of Zelda lui aurait été inspiré par les randonnées de son enfance dans la campagne de Sonobe, petite ville de la préfecture de Kyoto. Un jour, il aurait grimpé un sentier de montagne, pour y découvrir un lac au sommet. Son émerveillement fut tel qu’il aurait décidé d’immortaliser cet instant dans un monde virtuel, comme « un jardin miniature que l’on pourrait garder dans son tiroir ».
SahBabii a grandi à Chicago et à Atlanta. Le monde qui l’entoure n’a pas le charme enchanteur de la campagne de Kyoto, et il n’a probablement jamais connu en s’y promenant d’extase semblable à celle évoquée par Miyamoto. Pourtant sa musique, alors qu’elle ne parle que de fusillades et d’histoires de cul, donne souvent l’impression de puiser dans un réservoir d’expériences similaires. Ce contraste n’a rien d’un hasard. SahBabii a toujours affiché son goût pour la poésie des univers Nintendo : « dans "Mario Kart", il y a un circuit arc-en-ciel et un petit circuit sur la plage » expliquait-il « c’est dans cet état d’esprit que j’aime me plonger ».
Barnacles est un album concept à sa façon : entièrement constitué de type beats collectés sur internet, quasiment dépourvu de featuring, il est pour ainsi dire dépouillé du poids du monde extérieur. Comme une bulle de bien-être que SahBabii aurait simplement rempli de tout ce qui le rend heureux : la musique Zen, le lofi hip-hop de Nujabes (il en est fan) et les bandes-son de jeux vidéos - on entraperçoit l’acid jazz de Persona (« Popping Shit »), les nappes cristallines de Final Fantasy (« Geico »), ou les ambiances pastorales de Zelda (« Purple Umbrella ») [edit : le sample est en fait issu de la BO de Chrono Cross]... Le tout ressemble parfois à une version fun, moins prétentieuse, et beaucoup plus sensuelle, des expérimentations ambient hip hop de Lil B sur Rain in England.
La dimension musique d’ascenseur (ou easy listening pour rester poli) de Barnacles, parfait complément d’une partie de Fortnite, laissera peut-être de marbre ceux qui n’y verront qu’un ersatz de Wunna encore plus mou. Les autres - ceux qui ont ouvert leur troisième œil ou qui aiment simplement flâner sur les lofi radios - se délecteront de ce vide fertile, pour vagabonder en pensée dans les grandes étendues d’une nature érotique et comique tout droit sortie de DeviantArt.
Brian Eno, père de l’ambient, dit qu’il aime : « faire de la musique comme s’il s’agissait d’un lieu à visiter [...] un champ dans lequel on se peut se promener de manière acoustique ». On ne saurait mieux définir la musique de SahBabii. C’est un lieu à visiter : un lac au sommet d’une montagne, ou un jardin miniature à emporter dans sa poche.