Legowelt Memphis rap mixes
Un hommage en 3 sélections
, le 26 octobre 2017
Retour sur 3 mixes d’un compositeur de musiques électroniques dédiés à la scène rap de Memphis
Gospel, jazz, rock, ryhtm’n’blues… Memphis, Tennessee dispose d’un héritage musical incontestable. De B.B. King à Elvis Presley en passant par John Lee Hooker, Johnny Cash ou encore Otis Redding, la ville impose son influence au fil des années dans le blues, le rockabilly, la soul, jusqu’à la fin des années 1980 où la TR-808 commence à faire vibrer les clubs de la ville.
Inspiré par les productions bounce de la Nouvelle-Orléans, DJ Spanish Fly va notamment poser les bases d’un style qui influencera durablement le son de M-Town, en popularisant par la même occasion la vente de cassettes mixées.
Début des années 90, le son de Memphis se durcit mais continue de faire remuer les jambes des danseurs (notamment les adeptes du Gangsta Walking) sur des musiques de plus en plus sombres. S’ensuivra alors une période où la ville se retrouve inondée de cassettes enregistrées avec des budgets dérisoires, participant à populariser ce son crasseux si caractéristique et créant par la même un sous-genre bien identifiable. Cette niche aux sonorités uniques (prédilection pour les ambiances oppressantes de films d’horreurs, refrains saccadés, rappeurs aux flows double voire triple time, etc.) demeure alors principalement inconnue du grand public et il va falloir attendre les années 2000 pour qu’une poignée de diggers nerds aide à son revival au-delà des frontières de la ville, attirant ainsi l’intérêt de la presse musicale branchée jusqu’à la revente à prix d’or sur eBay des cassettes devenues cultes...
Danny Wolfers aka Legowelt est pour sa part un geek passionné par le matériel analogique et l’esthétique cyberpunk qui grandit loin de la Pyramid Arena. Originaire de Scheveningen, station balnéaire de la Haye, cet artiste inclassable (dont le mot "éclectique" serait un euphémisme pour décrire ses goûts musicaux) est un compositeur de musiques électroniques actif depuis les années 90 et un véritable pilier de la scène techno hollandaise. Ce passionné de jeux vidéo a sorti sous une myriade de pseudonymes un nombre incalculable de disques aux sonorités multiples, de l’italo disco en passant par l’ambient, où se ressentent l’influence des scènes de Chicago et Detroit tout en s’inscrivant dans un univers sonore visant à perdre son auditeur quelque part entre imaginaire et réalité à grands coups de lignes de synthétiseurs hypnotiques.
A priori, aucun lien donc sur le papier avec le rap mid-nineties de Memphis et ses beats lancinants et oppressants... Et pourtant, malgré les apparences, un lien tout particulier existe entre cette scène et Legowelt, une connexion qui apparait au final comme plutôt logique.
Tout d’abord, le fait que la scène rap de Memphis ait été initiée par des DJs (DJ Zirk, DJ Sound, DJ Squeeky, DJ Paul et bien d’autres...) propriétaires de home studios usinant leurs compositions à partir de drum machines type BOSS DR-660 et de lignes de basses synthétiques en samplant à l’occasion des films d’horreur, n’est probablement pas étranger à l’intérêt que porte alors ce rat de studio collectionneur de synthétiseurs. Legowelt est également un amoureux des musiques de genre : il considère en effet le Memphis rap comme "l’un des plus grands genres musicaux de l’histoire, et plus spécifiquement durant son âge d’or autour de 1993-1994". Enfin, toute oreille avertie ne manquera pas de reconnaître inévitablement des points de convergence entre ses titres au son brut et lo-fi nappés d’atmosphères embrumées et les ambiances angoissantes parfois rehaussées de rythmiques uptempo croustillantes de la scène du Tennessee. Ce sont probablement toutes ces raisons qui l’amèneront à rendre hommage à ces artistes du sud des Etats-Unis d’une façon pour la moins inattendue...
Memphis Rap Mix
"Think over the top ominous John Carpenter baselines, more tape smudge and obscurity then all minimal wave records in history, enchanting inspiring melodies and pure unadulterated poetry".
Un beau samedi de mai 2012, il compile ainsi un mix estival de plus de 50 minutes de ses titres favoris, entrecoupés de productions électroniques au BPM ralenti qui vont se marier à merveille avec l’esthétique du son de M-Town.
Cette sortie d’un compositeur de musique électronique va alors surprendre la plupart des média de l’époque et permettre à une génération de kids élevés aux sonorités électroniques de découvrir un pan entier de l’histoire du rap (tout en ravivant les souvenirs d’un certain nombre de fans du genre).
Ce mix sobrement baptisé "Memphis Rap Mix" fait en effet la part belle à de nombreux artistes de Memphis dont Tommy Wright III et ses récits d’épopées violentes, Evil Pimp, Gangsta Pat… ou encore K-Rino (pour le coup originaire de Houston).
Memphis Rap Mix II… The legend continues
"Perfect to spice up your pedestrian family Xmas quality time with some of the most hardcore mid 90s Memphis rap obscurities...even more raw - more lofi - more nefarious and more tape saturated then ever before !"
Fin d’année 2012, Danny Wolfers remet le couvert avec un deuxième volet "Memphis rap mix II… The legend continues".
Ce mix poursuit l’exploration de ce sous-genre, sombrant un peu plus dans les productions de l’âge d’or : les classiques old school de DJ Spanish Fly ("Goin’ to Mr Z’s" avec son refrain répété à l’envi, "Trigga Man" et son sample ultrautilisé du "Drag rap" caractéristique de l’influence néo-orléanaise) se mélangent aux productions de DJ Sound (Killaz outta Frayzer, Watch out for da click, Ridgecrest taking over) et aux créations saccadées de DJ Zirk. Le tout est complété par du rap finlandais ayant savamment digéré cette scène (Eevil Stöö) et des compositions chiptune bien senties de Neil Brennan, Matt Gray et Martin Galway destinées à des jeux vidéos pour console Commodore 64. Tout cet ensemble participe à merveille à obscurcir l’ambiance de cette deuxième sélection.
Memphis Rap Mix III : Memphis witchcraft
« What time is it ??? You know what time it is ! »
Un an plus tard, à la veille de Noël 2013, Legowelt régalera les dévôts de ce sous-genre en enfilant son costume de sorcier sonore une troisième fois, clôturant ainsi cette série par un dernier mix.
"Memphis Rap Mix III : Memphis Witchcraft" rend hommage à Lord Infamous (mort quelques jours plus tôt) et alterne thématiques occultes et fumeuses, comme un témoignage de cette "poésie de gansters pure et dure" nimbée d’atmosphères vaporeuses.
S’y côtoient les productions, là encore de DJ Zirk, 2 Low Key et le morceau "On that devil shit" (qui sera repris plus tard par SpaceGhostPurpp), les chuchotements franchement inquiétants de DJ Big Tim, des atmosphères plus enfumées ("Cement shoes", "Weed is that I need", "Buddhah") et à nouveau un thème de jeu vidéo antique. On notera enfin les choix de morceaux des membres de la Triple (pas encore Three) Six Mafia ("North Memphis Area", "Niggaz ain’t barrin’ dat" et plus particulièrement les incantations horrorcore de Koopsta Knicca sur le sample de "Moments in love" arrangé par DJ Paul).
"So lite up a blunt sit back and relax like a player straight from da Budha
u deserve it after working hard this year"
Epilogue
Début 2014, Legowelt sortira "Order Of The Shadow Wold", un e-zine cyberpunk cryptique en format texte en hommage aux premiers fanzines distribués via bulletin board system. Dans celui-ci, il fera un dernier clin d’oeil explicite à cette musique en rapportant la légende de Clendon Toblerone qui aurait été expulsé de l’école et placé en détention après avoir écrit quelques lignes sur le rap de Memphis et partagé le dernier mix de Legowelt...
Illustration : rimrimrim