DJ Lucas Un vrai punk dans la bergerie du rap
Western Massachusetts’ Finest
, le 18 septembre 2017
Dans la scène rap à l’agonie du Massachusetts, un obscur crew a émergé des ténèbres, le Dark World. Parmi ses membres fondateurs, DJ Lucas fait figure de proue pour cette entité qui s’expand de jours en jours. Baignant dans l’univers punk depuis son enfance, DJ Lucas arrive à point dans un courant hip-hop en pleine mutation. Fort de ses influences, il se réapproprie le rap actuel pour offrir une musique brute et expérimentale.
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Etre à l’écoute de son prochain, prôner l’égalité, la simplicité, la non-violence, voici les valeurs que cultivent les Quakers. Ce mouvement religieux, qui trouve ses racines en Angleterre au XVIIe siècle, vient totalement s’opposer à l’Eglise Anglicane. Ses pratiquants rejettent le clergé professionnel et la seule autorité de la Bible pour se tourner vers leur « lumière intérieure ». Pour ceux qui se surnomment également « Ami(e)s » la pratique de la religion est assez simple : tous les dimanches ces derniers se réunissent et restent en silence pendant une bonne heure. Pas de tenue exigée ou de représentant ecclésiastique pour lire des passages de la Bible ou réciter des sermons, les Amis peuvent même dormir pendant la réunion. Là où toute hiérarchie est exclue, les Quakers choisissent de briser ce silence ou non, pour aborder le thème de leur choix, que ce soit en chantant, en dansant, ou en marchant, avant de retourner à leur silence : « Celui qui rompt le silence ne doit le faire que poussé par une forcé intérieure à laquelle il n’ose résister ». Pour eux, Dieu est en chacun de nous, il représente un tout, Dieu est un concept. Contrairement à une secte, les membres de cette religion ne se retirent pas non plus du monde et mettent tout autant en avant l’individu que le groupe.
C’est dans cet environnement qu’a été élevé Lucas Kendall. Son père, un musicien punk new wave, l’initie rapidement au piano, à l’orgue et à la guitare. Avant même d’avoir fini l’école primaire, le futur DJ Lucas forme déjà son premier groupe de punk, Who Shot Hollywood, où il joue de la basse, écrit, chante, et réussit même à faire une tournée avec d’autres groupes. Un premier succès qui le pousse alors à explorer son côté artistique. On peut d’ailleurs retrouver quelques traces de ces années sur YouTube et dans un journal local. Que ce soit le noise rock avec les Jesus Lizard, la pop celtique avec Enya, dont il s’est d’ailleurs tatoué le logo sur le torse, mais aussi le hip-hop avec Lil Wayne (qui lui donnera envie de rapper), les influences du jeune Lucas sont multiples. Il faut dire qu’à partir de ses 13 ans, influencé notamment par les Neptunes et Just Blaze, DJ Lucas commence à produire des beats. Aujourd’hui il produit toujours pour lui, mais également pour les autres, le tout uniquement sur Garage Band.
Natif du Western Massachussets, une région où, comme presque partout aux Etats-Unis, l’héroïne fait rage, DJ Lucas reste très attaché à sa localité et plus précisément à sa ville, Amherst. Cette petite ville universitaire fondée par des puritains anglais est facilement reconnaissable par ses constructions en briques rouges qui parsèment son territoire. Tandis que ses potes vont à l’université alors qu’il a arrêté les études après le lycée, il atterrit à New-York, seul. S’il avait toujours fait parti d’un groupe, DJ Lucas décide finalement d’être créatif par lui-même et de trouver sa propre voix. Il sort ainsi sa première mixtape Lucas’ Mansion en 2014, un projet assez triste, bourré d’auto-tune, qui décrit d’une manière parfois expérimentale ses déboires avec les femmes, et dépeint de façon candide l’environnement dans lequel il a vécu. Dans la track d’ouverture Where I’m From il chantonne honnêtement : « Where I’m from nobody hurts nobody else, but where I’m from a lot of people hurts themselves ». A propos de cette forme d’expression qu’est le rap, il explique : « Il s’agit d’être vrai, être fidèle à toi-même ».
Etonnamment sur ce projet DJ Lucas nous rappelle un autre rappeur tout autant influencé par Lil Wayne : Chief Keef. Avec sa voix monotone, ses flows nonchalants, son côté expérimental, et sa démarche « Do It Yourself » la comparaison prend rapidement sens, étoffée par certaines productions similaires à des tracks de Bang 2 comme No It Don’t ou Gotta Glo Up One Day avec ses coupures rythmiques filtrées, ses steel drums, ses cowbells…les bruitages de coups de feu en moins. DJ Lucas confirme d’ailleurs cette influence illinoise sur sa mixtape The Boy With The Pearl Earring, en référence à la fameuse perle qu’il porte constamment à l’oreille, où il remix le titre Lamborghini Girl des Sicko Mobb. Si ces productions drill proviennent dans un premier temps de producteurs à type beats, ces éléments se retrouveront sur la plupart de ses projets, bien que DJ Lucas se positionne dès le début comme un artiste éclectique. Sur son dernier album en date Till Death Do Us Part 1, l’un des plus accessibles et cohérents, il confirme ses multiples influences musicales tout en démontrant qu’il sait créer des bangers no brain comme des mélodies pleines de vécu.
Avant même de découvrir sa musique et son fameux ad-lib tant addictif « DJ ! », l’élément le plus frappant chez le rappeur reste avant tout son esthétique et ses clips. Pour ceux qui ne l’ont pas découvert avec Ballerina Look Like Jumpman, le premier ovni qui a dépassé les profondeurs de YouTube était Creme de la Creme. Dans cette vidéo filmée avec la caméra VHS de son frère, DJ Lucas et ses amis, au style presque gabber, sont rassemblés dans une grange pour délivrer une des performances des plus étrange et attirante. Sans aucun budget, et sur une obsédante production de Ghost, Lucas grogne un refrain qui, malgré un couplet plus que kitsch de la part de Lucy, ne sort plus de la tête une fois écouté. De même, dans le clip de I’ll never see you, le rappeur nous offre un cri de désespoir sauce redneck et son clip pittoresque : il se cache tantôt derrière des fleurs, se roule par terre, fuit dans un champ…Il n’a clairement pas peur du ridicule et semble offrir une performance aussi comique qu’artistique. Pourtant DJ Lucas et son crew, Dark World, se prennent très au sérieux comme il a pu l’expliquer derrière le micro de No Jumper : « Je ne vois pas vraiment le côté marrant, mais je suppose que cela vient du fait que je me prends trop au sérieux […] notre musique est très sérieuse ». Dark World, c’est l’entité qui a suivi la création de son dernier groupe, World. Composé de plus d’une vingtaine de membre, ce collectif n’a ni frontière ni limite. Chanson, rap, production, réalisation vidéos, fringues (même Rihanna s’y met), les artistes de Dark World sont des maîtres du Do It Yourself comme l’était Odd Future quelques années auparavant. Grand architecte de cette machine anarchique, DJ Lucas applique les préceptes Quakers au Dark World : il croit au potentiel de chaque membre, et met plus souvent le Dark World en avant plutôt que sa propre personne. Une volonté qui a été capturée par The Fader l’année dernière dans un de ses articles.
Plus que jamais d’actualité alors que le rap devient de plus en plus punk, DJ Lucas propose une musique frappante et décomplexée. Entre « Ima be a rock star, same kind that my daddy fought for » sur Rockstar, « It is underground music, boy, I ain’t tryna make it » sur The Sound Of You Hating et « I like holding hands, holding hands and bands ! » sur All I Need Is Bands, le rappeur oscille l’envie de réussir, ses racines punk, ses états d’âme avec les femmes, et l’arrogance caractéristique du rappeur. Récemment installé à Los Angeles, DJ Lucas semble vouloir franchir un nouveau cap dans sa carrière au coeur de cette florissante scène. Si son amitié avec Wiki l’avait entraîné dans une première tournée, c’est sous l’étendard No Jumper qu’il a réalisé une série de concerts dans sa région du New England, accompagné de Idontknowjeffery et Chxpo (avec qui il a d’ailleurs annoncé une future collaboration). Entre la production, la vente de ses fringues patchées de sa marque Ballerina et sa tournée, DJ Lucas n’a pas de temps pour le repos et prépare plusieurs projets notamment une collaboration avec son frère Weird Dane Bros 4 Life, Lucas Mansion 3, Big Bleep Music 1, Over The River And Thru The Wood et une mixtape de productions expérimentales.
En attendant toutes ces mixtapes pleines de promesses, SwampDiggers a compilé la Creme de la Creme des morceaux de DJ Lucas, qui devraient autant vous donner envie d’éclater une tronche dans un mosh pit que de manger tranquillement des Dunkin Donuts au fond de votre maison de campagne, en ressassant vos vieilles histoires d’amour.
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Illustrations et pochette : Bobby Dollar