Horse Head, entre rap et emo
Compilation de singles et featurings
, le 21 décembre 2017
Retour sur Horse Head, chanteur et producteur pionnier de l’emo rap et pilier de la Gothboiclique, suivi d’une compilation à télécharger de ses meilleurs singles et featurings.
Si Horse Head est un des premiers piliers de la GBC (avec Wicca Phase Springs Eternal et Cold Hart), il reste pourtant parmi les membres les plus obscurs de l’équipe de rappeurs/chanteurs emo basée à Los Angeles. Cela est probablement dû à son timbre nasillard et peu aimable au premier abord, ou à sa persona austère et sérieuse, à moitié caché derrière une mèche de cheveux gras. L’homme à tête de cheval, que personne n’a certainement jamais vu sourire, n’est en effet pas là pour rigoler, ni pour "ambiancer" ta petite sœur. Mais pour livrer ses chansons tristes aux mélodies mornes et dont il racontait déjà en 2011 à Hartzine que les textes étaient directement nourris par sa dépression.
« I find it hard to write songs when I’m feeling happy, so being completely depressed helps too. »
Chris Thorne (Hartzine)
Il est possible également que le fait qu’il vienne de l’univers du rock, plus que du rap, et que cela s’entende dans sa musique, bloque un temps le fan de rap orthodoxe. Car, comme Wicca Phase, Horse Head a eu une vie en dehors du rap et a participé à plusieurs formations dans différents genres musicaux (noise expérimentale, pop punk, emo, synth pop, electro…) avant de se lancer autour de 2013 dans l’aventure de la Gothboiclique.
Your first mistake was letting me in
C’est ainsi dix ans en arrière, en 2003 et à l’âge de 14 ans, que le jeune Chris Thorne monte, avec deux de ses copains d’enfance, Jon et Mike Skehan, un groupe de noise expérimentale du nom de Horse Head. Il raconte même avoir monté son label DIY à cet age là. On l’imagine volontiers, avec son air buté, le mercredi après-midi, graver ses CD-R et dupliquer ses cassettes aux pochettes photocopiées. Mais la musique qu’il fait à cette époque n’est pas celle du pré-adolescent lambda. Il s’agit réellement de pièces de noise très expérimentales dont on peut encore écouter les enregistrements aujourd’hui sur le site Archive.org.
Si sa culture musicale est surtout faite de Blink-182, qu’il cite toujours en premier, de Nirvana et autres Sonic Youth, il a toujours écouté et apprécié le rap mainstream de gens comme Nelly ou 50 Cent. Mais c’est au lycée qu’il découvre, et se prend de passion pour la scène rap underground, ce qui l’amènera au beatmaking.
Autour de l’année 2010, Chris se lancera à fond dans la musique et portera plusieurs casquettes au sein de trois formations aux directions différentes. Il sera auteur, compositeur, guitariste et chanteur pour le groupe d’indie pop/skate punk emo Tan Dollar, qui aura un petit succès dans les réseaux indé de l’époque. Il chantera également dans le side project synth pop aux accents new wave, Dreamless de son amie Ilya Sandomirsky. Et, bien sûr, il continuera à bosser en parallèle sur le projet Horse Head.
Délaissant la noise bruitiste, en 2011 et toujours épaulé par ses deux compères, il sortira la mixtape Hh (à télécharger ici), un vaste bazar aux influences éclectiques qui rassemble productions electro bourrées de samples improbables, hip-hop experimental, rock progressif, guitares psychédéliques et nappes synthétiques d’inspiration vapor wave. Multipliant les expérimentations dans toutes les directions, le projet est intéressant mais manque de structure et perd l’auditeur.
En 2013, Chris revient, seul aux manettes, sur le projet Horse Head et sort, sur le label Amdiscs, deux beat tapes qui seront remarquées sur la scène underground, The Green 1 et Purple Tape. Si les deux albums proposent une approche hip-hop plus classique que précédemment, elles restent très aventureuses et bardées de samples étonnants. Le résultat est prometteur mais très brut et n’a pas les finesses de productions d’un DJ Smokey.
My whole squad got angel wings
Nedarb Nagrom, producteur phare de l’underground, décrit Los Angeles comme le réseau social à ciel ouvert ultime pour les musiciens. Il raconte que toutes les scènes, des backpackers aux trappers en passant par les groupes de punks, s’y côtoient et s’apprécient. Ce qui explique, pour lui, que la ville soit devenue l’épicentre de la scène rap underground, et plus précisément de la GBC, même si ses membres viennent, pour la plupart, d’ailleurs.
“LA is amazing. All the different scenes ; from backpack rappers to new trappier artists to punk bands like War of Icaza and Girlpusher – it all intertwines. They’re all fans of each other. Everybody comes to LA at least once, so you get to meet and create personal connections with whoever you want in person rather than only online,” he says. “I like to say that LA is like Twitter, SoundCloud and Facebook, all in real life.”
Nedarb (Indie-mag)
Pour sa part, originaire de la banlieue de Los Angeles, Chris baigne dans ce bain et il se lie assez naturellement avec Wicca Phase, Cold Hart et Nedarb qui viennent de se réunir pour créer la Gothboiclique. Il partage avec eux l’envie de mélanger ces influences disparates dans une grande soupière pour tenter d’y créer un genre musical nouveau, quelque part entre Blink-182 et Soulja Boy.
Il rejoint donc la GBC et sort quelques morceaux où il marie son chant dépressif avec de l’autotune et des beats cloudy. Il sortira surtout en 2014 le single Numb, sur une production de Nedarb bardée de guitares. Ce morceau sera pour certains une des premières pierres du rap emo tel qu’on le connait aujourd’hui. Soit un mumble rap plaintif et chantonné sur des instrumentations très simples, faites de boucles de guitares et de rythmiques inspirées de la trap.
Clever Tom, figure historique de la scène rap underground et tenancier du blog Internet Hippy, n’hésite d’ailleurs pas à le citer comme un des trois pionniers du rap emo, aux côté de Bones (avec de son projet Surrenderdorothy) et d’un obscur Soundcloud rappeur du nom de Yung JZA.
Rapidement, il remet la guitare à l’honneur, remise l’autotune au placard et retrouve le grain naturel de sa voix nasillarde sur des mélodies pop addictives et désabusées. Il sort des projets régulièrement mais, comme certains de ses collègues de la scène underground qui distribuent leur chansons sur SoundCloud, il préfère sortir ses morceaux les plus percutants sous forme de singles. Si aujourd’hui, Horse Head est un producteur simple, sans artifice et peu maniaque du détail, son background de guitariste lui permet de délivrer des instrumentales à l’énergie très rock. Ainsi, en produisant toutes les chansons de l’album Stop Torturing Me de Wicca Phase (on en parlait ici), il réalise le projet le plus dynamique du grand manitou de la GBC, tout en lui donnant un feeling très post punk.
Il a également produit Desire, un EP très rare de Lil Tracy, une curiosité punk et "débilos" qui vaut le détour et a disparu de la circulation quand Tracy a décidé de jeter toute sa discographie à la poubelle, fin 2016. Mais que l’on peut retrouver par ici grâce à la magie d’Internet.
We were suposed to glo up together
Novembre 2017, le décès de Lil Peep, petit dernier et personnalité la plus médiatisée du collectif, marque profondément tous les membres et proches de la Gothboiclique qui vivaient véritablement toute l’année comme une famille, chez les uns ou les autres, dans leur loft de Los Angeles ou sur les routes des tournées. Ceux qui étaient présents dans le fameux tour bus, où le jeune chanteur est mort accidentellement d’une overdose, comme Cold Hart ou Bexey, montrés du doigt sur les réseaux sociaux, en porteront le poids toute leur vie. Ceux avec qui il était alors fâché pour des broutilles, comme Lil Tracy, en vivront leur deuil encore plus intensément. Horse Head, pourtant secret et peu loquace sur les réseaux sociaux a, lui aussi, exprimé sa peine publiquement et à plusieurs reprises.
Espérons que l’équipe, déjà bien portée sur la dépression et les idées noires, passe le cap le plus sereinement possible, et que leur avenir sera radieux car le potentiel est toujours bien là.
Compilation à télécharger :
Singles & Featurings (2017)
Les albums de Horse Head ne sont pas la meilleure porte d’entrée et ne rendent pas véritablement hommage à sa créativité. Les bons morceaux y sont noyés parmi d’autres, plus moyens, et ses meilleures chansons sont lâchées isolément sur Soundcloud. Nous avons donc réuni ici ses singles récents les plus mémorables, ainsi qu’une poignées de featurings que l’on se devait de préserver de l’oubli.
Discographie sélective :
Romantic (2015)
Premier veritable album de Chris au sein de la Gothboiclique, après le EP très cloud rap Almost Angels (en collaboration avec Ghoste, un des premiers membres de la GBC, un adolescent suédois qui a quitté le groupe rapidement). Romantic porte bien son nom, entièrement produit par Horse Head et bardé de guitares, il renoue avec la chanson au coeur serré comme Chris pouvait la pratiquer avec Tan Dollar.
Celebrity Crush (2016)
Le court EP Celebrity Crush pourrait très certainement être son meilleur projet. On retrouve notamment sur l’excellent I’m Used To That en introduction, son talent pour les mélodies malades mais addictives et qui s’incrustent dans la tête pour la journée.
This Mess Is My Mess (2017)
Sur cet album de neuf titres entièrement produit par Fish Narc, Horse Head se plonge entièrement dans la pop post Blink-182 (Time Bomb) et dans la ballade sentimentale (Geography Is Cool). Un projet en demi-teinte dont on gardera surtout l’excellent Mint et son refrain imparable.