Moïse the Dude Cette Shit
Plus Peckinpah que Nolan
Date de sortie : 21 mai 2021
& , le 7 juin 2021
Album après album, Moïse the Dude peaufine son rap flegmatique vieillit en fût de chêne, entre ego trip mélancolique et références cinéphiliques. Suivi d’une compilation des samples utilisés.
Vieux baroudeur des voies de traverses de l’underground du rap français, Moïse the Dude affine son rap comme on fait du vin. En prenant son temps. En effet, si la dernière livraison du caviste en robe de chambre, Cette Shit, est probablement son meilleur album jusqu’à aujourd’hui, il est aussi très certainement moins bon que le prochain. Car comme on disait aux abords du désert de Tabernas à la fin des années 1960, le monde se divise en deux catégories. Il y a ceux qui brûlent toutes leur cartouches sur leurs deux premiers albums puis périclitent plus ou moins doucement, et ceux qui progressent tranquillement album après album. Moïse fait clairement partie de la deuxième catégorie. Voilà pourquoi on espère bien que les rumeurs qui courent, comme quoi on serait ici face à son dernier album et qu’il se retirerait à jamais du jeu pour s’adonner exclusivement à la littérature érotique, resteront infondées (même si on rangera avec plaisir ses bouquins dans la bibliothèque avec ceux d’Esparbec).
Livré en deux parties, puis réuni en un CD pour les amateurs de beaux objets, Cette Shit est bel et bien pensé comme une œuvre unique et cohérente, tant aux niveau des paroles que de la musique qui a été entièrement confiée à Monkey Green. Ce dernier, vieux compagnon d’arme du Dude, lui livre encore une fois des prods toujours cool, au groove délicieusement équilibré en sucre et en piments, et gorgé de soul ou de vieux samples nyabinghi, soit l’alchimie idéale pour son flow décontracté.
Entièrement écrit pendant le premier confinement, l’album en porte les stigmates et nous propose un voyage dans des espaces la plupart du temps intérieurs, inaccessibles ou cinématographiques. « Reverrai-je le grand Ouest, l’homme à l’harmonica ». Le monde extérieur y est perçu comme un fantasme quasiment hors d’atteinte où les déplacements se retrouvent être bridés et controlés. « Ride en ville tant que c’est permis ». Un sentiment de frustration mélancolique que l’on retrouve jusque sur les trois pochettes de cet étrange double EP, avec des images qui représentent des espaces également inaccessibles ou fictifs.
Si notre bon vieux Moïse conserve sa désinvolture nourrie au Russe Blanc, on retrouve aussi en filigrane son point de vue critique et désabusé sur le monde ultra libéral dans lequel nous baignons tous et pointent nos contradictions « Marxiste en Air Max, quel sens on donne à tout ça », et son sens décalé de la punchline « J’enverrai pas Max, man, j’enverrai Furiosa. ». Moïse connaît son rap, on le savait, mais il connaît aussi son cinoche, dont il est un gros consommateur et un commentateur avisé. Omniprésente dans Cette Shit, sa passion pour la péloche, plutôt américaine et qui va en gros de 1970 à 2000, est le véritable fil rouge de ces onze tracks qui nous font partager un bout de son canapé devant son écran seize-neuvième. À ses côté il y a aussi du beau monde autour de la table basse. On y retrouve notamment ses compagnons du micro, les amateurs de liqueurs de l’Épicerie Gang, LK, La Prune et Yuri J. On retrouve aussi en invité spécial, Mr. JL, qui vient partager sa chillance légendaire avec le Dude sur le morceau éponyme de l’album, "Cette Shit".
Un album que l’on apprend à connaitre et à décortiquer au fil des écoutes et qui nous fait nous poser les vraies questions. Parce-que c’est vrai ça, à la fin, pourquoi est-ce que Max n’est pas parti avec Jackie ?
Crem, en concertation avec Monkey Green, a réuni pour nous les samples utilisés dans Cette Shit :
- Karl Bryan & Count Ossie - Black Up
- Eleanore Mills - How Can I Love You
- Jacob Miller & Inner Circle - Forward Jah Jah Children
- Taana Gardner - When You Touch Me (original 12" vocal)
- Janis Joplin - Mercedes Benz
- Demis Roussos - Action Lady
- Francis Cabrel - Je te suivrai
- Ramp - Everybody Loves the Sunshine
- The John Payne Band - New spaces
- David AxelRod - The Shadow Knows
- Wilson Pickett - I’m Down to my Last Heartbreak
Texte : Dirt Noze
Compilation : Crem