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Focus

Ghostemane – K R E E P

This world is a school. No one expects to stay in school forever.

Mugen le druide & Tibo BRTZ, le 15 février 2017

Si l’on devait situer Ghostemane sur l’échiquier du rap underground, on le placerait aux côtés de Bones et des $uicideboy$. Bien que les liens qui les rapprochent soient nombreux, tant au niveau de l’imagerie que de leurs influences respectives, Ghoste parvient à se différencier de ses mentors et réussit à apporter sa pierre à l’édifice. Portrait d’un personnage mystérieux qui pousse les liens entre rap et metal encore un peu plus loin.

FLA born & raised

Lake Worth, Lantana : des petites villes situées au nord de Miami, dans une région de Floride nommée West Palm Beach. Un lieu où l’on peut observer une biodiversité pour le moins atypique se décomposant en trois groupes distincts : les retraités aisés venus savourer une retraite ensoleillée, les locaux, majoritairement composés d’Hispaniques et d’Afro-Américains, et une foule de gens abîmés par la drogue, venue s’échouer dans ce que les Américains appellent une « rehab capital ». Le décors est planté.

Né en 1991, le jeune Eric à eu une enfance un peu particulière. Son père étant partiellement handicapé à cause de graves problèmes de dos, il est immobilisé chez lui le plus clair de son temps. Et sa mère étant chargée de s’occuper de lui, le jeune Eric a grandi sous surveillance rapprochée. L’ami avec qui il passera le plus clair de son temps, c’est son petit frère, de 4 ans son cadet. Papa veille au grain en instaurant au sein de la petite famille un régime quasi dictatorial. Même si avec du recul, le bonhomme a insufflé bon nombre de valeurs hautement respectables à ses rejetons. Son influence sur la personnalité de Ghoste est fondamentale pour comprendre le parcours du bonhomme, à commencer par ses premières influences musicales. C’est notamment grâce à lui qu’il à découvert le rock, le paternel étant un fan de groupes comme Van Halen ou Black Sabbath.

Très vite attiré par l’image des groupes punks comme NoFX ou The Vandals, il n’a pas fallu bien longtemps au jeune Eric pour faire de la musique sa véritable passion. Malheureusement, il a interdiction de toucher à l’ordinateur. Pas de Myspace, pas de Youtube, pas de Limewire. Sa seule source d’information sera les magazines spécialisés et ses amis qui lui gravaient des CD sur commande. Quelques années plus tard au lycée, il s’achète une guitare et commence à apprendre à jouer en imprimant des partitions à l’école. D’aussi loin qu’il puisse se rappeler, il a toujours rêvé de monter sur scène. À l’âge de 17 ans, alors en terminale, son père décède subitement. À cause de son handicap, le paternel suivait un traitement médical très lourd incluant des opérations multiples, mais surtout la prise régulière de médicaments à base de morphine. Une erreur dans la posologie doublée d’une pneumonie et un matin, il ne se réveillera pas.

"Take that band tee off you don’t listen to that shit"

Après la mort de son père, sa mère retourne habiter à New York, mais Ghoste reste vivre en Floride, un peu livré à lui-même, mais aussi libre de toute restriction. C’est l’heure pour lui de vivre sa vie comme il l’entend. Il se laisse pousser les cheveux, se paye ses premiers tatouages et s’investit plus sérieusement dans la musique. Fan de hardcore dans toutes ses déclinaisons possibles (punk, metalcore, death metal, black metal) il pousse tous ses amis capables de jouer un instrument à monter des groupes. À l’âge de 19 ans, il fera partie du groupe Nemesis, qui durera 4 ans, puis plus tard d’un groupe de Doom Metal nommé Seven Serpents. Guitariste dans l’un, batteur dans l’autre, il braille tout de même quelques vocalises et écrit quelques textes de temps à autre. Le groupe gagne un petit succès local, avec à la clef la sortie d’un EP et des petites scènes. Comme Ruby des $uicideboy$, Ghoste semble être beaucoup plus motivé à faire vivre le groupe que ses camarades. Ironiquement, c’est le chanteur de Nemesis qui lui fait découvrir le rap, avec des groupes comme Jedi Mind Tricks et Hieroglyphics.

Comme n’importe quel ado, il commence à rapper façon boom-bap puisque c’était « l’âge d’or du rap », mais la sauce ne prend pas. Le vrai déclic viendra un peu plus tard grâce à sa petite amie, qui lui met aux oreilles des sons de SpaceGhostPurp. Il découvre peu à peu les Dirty Boys, Bone Thugs, Three 6 Mafia, et toute la scène de Memphis des années 90 : Al Kapone, Tommy Wright III, Lord Infamous. N’ayant pas eu accès à internet avant le décès de son père, il rattrape vite le temps perdu. Exit le boom-bap, faites place au double time flow, un exercice dans lequel il se montre beaucoup plus habile. Ses amis rockeurs écoutent ses premiers sons et l’encouragent à continuer dans cette voie. C’est le moment ou Ghostemane est né. Un pseudo qui vient de son tempérament « low-key » et de sa vie de solitaire. Il n’a pas beaucoup d’amis, et quand il n’est pas au travail, il passe le plus clair de son temps chez lui à faire du son : les grosses house-parties ce n’est pas trop son truc. Sa petite amie (encore) le pousse à créer un compte Soundcloud au lieu d’envoyer ses mixtapes à Datpiff et Reverb Nation. Fort de ses expériences passées, il comprend vite qu’il vaut mieux se débrouiller tout seul que d’attendre des coups de main qui mettent du temps à venir, voir qui ne viennent jamais. Production, mastering, visuels, il s’occupe de tout lui même. Et pour les clips, c’est sa petite amie Babyloot qui se charge de tout filmer et de faire les montages. Bonnie & Clyde, version cimetières et pierres tombales.

En à peine 3 ans, il se construit une solide fan-base, à coup de sombres bangers, de clips fauchés, mais foutrement bien ficelés et d’une productivité bien rythmée. Deamon, BlackmageRituals, For The Aspiring Occultist : autant de projets avec des artworks magnifiques faits d’inspirations Pen & Pixel et d’imagerie Metal. Au premier coup d’oeil, on sait où on met les pieds. Et si certains de ses premiers travaux peuvent paraître aujourd’hui très brouillons, les récents laissent supposer un avenir très prometteur, avec une liste de morceaux marquants de plus en plus longue : du brutal Venom, en passant par John Dee ou Andromeda, chacun d’entre eux mérite qu’on s’y attarde. Flow technique ultra rapide, voix à géométrie variable, prods minimalistes, mais agressivement percutantes, Ghoste impressionne par son flow et les ambiances qu’il parvient à instaurer dans ses titres. D’ailleurs, sa musique n’est pas juste un revival d’horrorcore opportuniste. Elle pousse à l’auditeur à creuser un peu si on veut en saisir toute l’essence. Exemple le plus frappant, les titres Until The Light Take Us et Euronymous font référence à Mayhem : obscur groupe norvégien précurseur en matière de Black Metal, dont l’histoire passionnante vacille entre suicide, meurtre et Églises brûlées. 

Introverted inverted cross rappin’ motherfucker

Passionné par l’occultisme et l’alchimie, les clins d’oeil à des personnages comme John Dee ou Aleister Crowley reviennent fréquemment dans ses travaux. Mais ce ne sont pas des name-dropping sans fondement. Véritable boulimique quand un sujet attise sa curiosité, il peut rester plusieurs mois focalisé dessus avant d’en incorporer des éléments dans un de ses morceaux. Cette curiosité le poussera par exemple à lire The Book Of The Law, ou même à s’intéresser à la philosophie et aux mathématiques, à tel point qu’il n’exclut pas de reprendre les études pour approfondir ses connaissances. L’astronomie et la métaphysique viennent aussi s’inviter dans cette joyeuse ambiance, mais aussi des références venues des comics et des jeux vidéos. À cause du décès de son père, Ghoste se tient loin de toutes ces pilules à la mode (oxycotins, percocets, xanax), terrifié à l’idée de faire une overdose. En revanche, si vous vous demandez d’où peut venir cette imagination fertile, il avoue sans mal consommer des champignons, et les oreilles fines sauront déceler sans mal les traces de ces expériences psychédéliques dans sa musique. 

Même si les jeunes rappeurs émergeant de la Floride sont nombreux ces derniers temps ( Kodak, Denzel Curry, Pouya, Fat Nick, Wifisfuneral ), il est relativement difficile pour les artistes d’avoir une reconnaissance locale suffisante pour se faire du beurre avec les scènes environnantes. Pendant une période, Ghoste a été affilié au Schema Posse : collectif créé par J-Green, au sein duquel il a pu fréquenter Lil Peep. Mais l’escapade fut courte, Ghoste ayant quitté le groupe subitement, avant que J-Grxxn n’y mette définitivement un terme le 11 janvier dernier. On n’est jamais mieux servi que par soi-même, c’est pourquoi il a dû prendre une décision radicale pour la suite de sa carrière : se rapprocher de son public. Et il se trouve que la plus grande partie de ses fans se trouve à l’autre bout du pays, en Californie. Ayant des économies de côtés, il décide l’été dernier de quitter son travail et de traverser le pays en voiture pour déménager à Los Angeles. Profitant de sa popularité grandissante, il travaille désormais régulièrement avec le producteur Nedarb Nagrom, fait de plus en plus de scènes, et il semble qu’une connexion avec Pouya soit aussi dans les tuyaux. A ce rythme, nul doute que Ghostemane rejoindra très vite l’élite du rap underground.

 Télécharger l’album Plagues

 Ghostemane sur Bandcamp
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 Texte : Mugen
 Mix & illustration : Tibo BRTZ


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