Young Scooter Street Lottery 3
Motivation et briques de cocaïne
Date de sortie : 27 avril 2016
, le 10 juin 2016
« When you call a nigga phone and they don’t answer for you, that mean that nigga never gave a fuck about you »
Cette phrase rappellera à certains de lointains souvenirs. Nous sommes en 2013 et Kenneth Edward Bailey alias Young Scooter vient de sortir Work. Un hit qui va inonder les rues d’Atlanta pendant de longs mois. Quelques notes de piano, un couplet de Gucci Mane, et des paroles arrachées a même le béton des quartiers d’East Atlanta, feront de cette chanson le porte-étendard de la "motivation music". Le titre Colombia viendra encore augmenter sa notoriété, faisant du premier opus de Street Lottery la mixtape qui lui apportera ses premières lettres de noblesse.
Proche de Future qui est un ami d’enfance, et de Gucci Mane qu’il considère comme son mentor, Scooter évoluait à l’époque entre le Freeband Gang du premier et le Bricksquad du second. Il oeuvre depuis sous la bannière du Black Migo Gang (BMG), qui fait référence au quartier de Kirkwood que lui et ses comparses ont rebaptisé Little Mexico.
S’il y’a bien une chose que la rue a apprise à Scooter, c’est la culture du travail sans relâche. Logique donc de le voir sortir plusieurs mixtapes par an, quitte même à rafistoler des chutes de studio pour en faire des projets entiers quand les aléas de la vie prennent les devants. Entendez par la un petit séjour de huit mois par la case prison ("probation violation", like always) où il partagera, non sans ironie, la cellule avec Gucci Mane.
Le prix à payer de ce rythme effréné, c’est la qualité intrinsèque de ses différents projets. On peut le dire, Scooter manque cruellement de régularité. Par des choix de prods par toujours de très bons goûts, ou simplement par manque d’inspiration, et des projets qui manquent de consistance et de titres marquants. Mais peut-on lui en vouloir d’évoluer dans une ville qui ne dort jamais, où la concurrence est l’ennemi numéro un. Bien heureusement le bougre se maintient dans la liste des rappeurs à suivre avec quelques fulgurances qu’on ne voit jamais arrivée. Pêle-mêle : Fake Gold, Cocaina Mota (prod C-Sick), la magnifique Irrelevant, Play Wit Dem Keys avec Future ou encore Listen To The Streets avec Dolph.
Si Scooter ne rêve pas d’une hypothétique signature sur un grand label, c’est parce qu’il sait sa musique clivante et préfère rester indépendant. La plupart de ses titres n’ayant pour cible que ceux qu’il appelle les roadrunners : ces soldats qui arpentent les rues en quête d’une liasse à ramasser. Et si les thèmes qu’il aborde peuvent paraître répétitifs, n’y voyez pas un manque d’imagination ou une quelconque carence créative. La rue, il n’a connu que ça, et la revente de cocaïne sous toutes ses formes à une place centrale dans sa musique, qui rappellerait presque les grandes heures des Clipses. "Born in the eighties crack baby" clames-il sur 80’s Baby, faisant allusion à un père consommateur qu’il voyait à peine une fois dans l’année. N’espérez donc pas de sa part une allusion à un paysage autre que celui dans lequel il vit, puisqu’il n’en est pour ainsi dire jamais sorti.
Dans cette optique, Street Lottery 3, baptisé du nom prestigieux des ses aïeuls, perpétue la tradition en matière de qualité et s’avère même être la meilleure mixtape de Young Scooter depuis un bon bout de temps. La majeure partie du projet offre a l’auditeur ce que Scooter sait faire de mieux, de la "motivation music", qu’on pourrait assimiler à une descendante direct du classique Thug Motivation 101 de Jeezy. Gimmick breveté, l’essentiel de Street Lottery 3 est un concentré de pure "Count Music" à tous les étages. Doin’ Numbers, Rarris & Bentleys, où le génial In The Bricks produit par Southside, sont des titres qui marquent des la première écoute. Si le titre avait déjà fuité il y a quelques mois, notons la très sympathique apparition de Kodak sur un I Made It Out The Hood plein d’espoir. L’excellente The Grind Dont Stop sera elle l’occasion d’inviter Future, qui ne vient pas les mains vides, mais avec un refrain chanté, comme lui seul sait les faire. Mention spéciale pour le violent I can’t get enough avec la voix torturée de VL Deck, qui ressemble comme deux goutes d’eau à celle de Casino.
Comme tout artiste d’Atlanta qui se respecte, impossible de boucler un projet sans que quelques notes de piano signé Zaytiggy ne fassent apparition (Lire l’article de Pierre Leskuuurt à propos de Zaytoven) et ce n’est sûrement pas un hasard si Real est un des meilleurs morceaux du projet. Un refrain entraînant dans lequel on sent un Scooter sur-motivé, avec ce bon Young Dolph qui balance un couplet de haut vol, chose assez régulière quand on l’invite en featuring. Et ne vous imaginez pas que leur relation est purement professionnelle, les deux rappeurs ont déjà a leurs actifs plusieurs collaborations. Non seulement leur zone d’expertise est sensiblement la même, mais ils se croisent régulièrement. Il faut garder en tête que Dolph a déménagé a Atlanta il y’a plusieurs années maintenant. Ceci explique en partie sa bonne entente avec les rappeurs du coin. Ces deux là ont d’ailleurs annoncé un projet en commun qu’on a vraiment hâte d’écouter, en priant pour que ce ne soit pas qu’un effet d’annonce comme Eagles Landing, mixtape en commun avec Young Thug cette fois, dont-on a aujourd’hui plus aucune trace si ce n’est un magnifique artwork..
L’espoir n’est pas perdu puisqu’on retrouve Thugga sur le sombre Live Or Die, où Scooter rêve d’avoir la vie éternelle pour ne jamais quitter ses enfants, et remercie dieu de l’avoir laissé en vie. C’est ce genre de petites touches d’emotional rap qui manquait dans ses précédents projets et qu’on retrouve aussi sur Ass Shot avec un Boosie qui est absolument partout depuis sa sortie de prison. Là aussi, l’invitation n’a rien d’hasardeuse. La chanson Down bad viendra s’ajouter à la liste, revenant sur les différentes périodes de vache maigre que le rappeur a connu, racontant son incarcération et celles de nombreux de ses proches, et rendant hommage a ceux qui sont morts avant d’avoir eu 30 ans.
Plus improbable par contre, la présence d’Akon dans Ice Game chanson faisant par belle aux bijoux scintillants si prisés des rappeurs du sud.
Impossible de cacher sa joie en écoutant cette nouvelle mixtape. Des prods bien choisies aux invités de luxe investis, en passant par des refrains efficaces, tout s’est parfaitement mélangé, chacun des éléments augmentant à sa manière la qualité générale de l’ensemble. Sans être l’artiste le plus talentueux du monde, le rappeur d’Atlanta prouve qu’il est capable de tenir la cadence sur une mixtape de 16 titres. Motivation music certifiée, à consommer sans modération. Count up !