King Louie T-1000 Louie
part man, part machine
& & , le 7 septembre 2017
Compilation mixée à la tronçonneuse des morceaux indus post-2012 de King Louie.
God of Drill
Dans Triksta (2006), émouvante odyssée autobiographique en Nouvelle-Orléans, Nik Cohn revient sur son périple au cœur de la scène bounce du quartier de Magnolia et de son plus grand ambassadeur : Soulja Slim, rappeur « dur et coriace » dont la musique pleine de fureur et de sexe est le parfait écho du lieu où elle est née.
De cette quête obsessionnelle des « real niggaz », il tire un constat amer sur le rap contemporain, notamment lorsqu’il déplore que la rage ait été petit à petit étouffée par la grandiloquence. Le glissement du témoignage de rue intimiste vers le divertissement familial, pour ainsi dire.
Ce point de vue - un poil réac’- n’est pas dénué d’intérêt puisqu’au-delà de la recherche d’authenticité, il pose la question de l’attache physique au lieu de la création : avec la dématérialisation des contenus, les rappeurs sont de moins en moins l’incarnation de leur quartier, de leur ville. Le rap est plus que jamais une musique en mouvement perpétuelle, de moins en moins enracinée.
Chicago, 2012.
Le tube « I don’t like » de Chief Keef replace Chi-town au centre de toutes les discussions et focalise l’attention avec un voyeurisme parfois morbide, notamment celle de la hype – Viceland en tête – attirée par ces faits divers remplis de jeunes qui s’allument à grands coups de Tommy gun.
Le choc visuel est intense. On découvre une bande de gamins frêles, les bras remplis d’armes plus lourdes qu’eux, dans une mise en scène exacerbée et totalement assumée de la violence qui frappe Chiraq, désormais bien positionnée dans le classement des villes les plus meurtrières du Monde.
Le choc musical l’est également : flow simplissime, cloches d’enterrement, hi-hat tournoyants et kicks mastodons sous influences sudistes… Un nom rejoint la liste des sous-genres à la mode de cette musique rap : la Drill. Parfois régressive, toujours viscérale, elle enveloppe désormais une nuée de nouvelles têtes, à peine sorties du berceau mais déjà terriblement marquées par la vie : Lil Durk, Lil Reese, SD, Fredo Santana, Katie Got Bandz, Gino Marley, Sasha Go Hard, Lil Herb, Lil Bibby. Réuni-es, ces rappeurs-euses forment une bande de résistants sauvages englués dans un monde à l’abandon, ou à la manière de Masqué de Serge Lehman, des « anomalies » littéralement créées par l’énergie d’une ville qui s’est développée de manière galopante, au point de devenir un personnage à part entière, une forme de « conscience urbaine ».
Au milieu de cette meute de louveteaux, King Louie fait déjà figure de vétéran avec 5 projets au compteur en 2012, mais surtout de pionnier du mouvement puisque son nom circule au-delà du South Side de Chicago depuis le succès d’estime de sa première mixtape, Boss Shit, en 2007. S’il n’atteint ni les scores ni la renommée de certains des petits jeunes sus-mentionnés, aucun ne semble être autant imprégné par la ville que Louie. Il est l’extension la plus pure de sa noirceur, de sa longue tradition de gangsters (Al Capone, Frank Nitti, John Dillinger, Fred Hampton) et de son industrie sidérurgique à l’abandon.
« I keep that metal close
That’s how we ride in Chicago » Live And Die In Chicago
A l’image des artistes estampillés No Limit qu’il adule – son premier souvenir de rap remonte à l’achat d’un CD de Silkk The Shocker) – le rap de Louie est à la fois la parfaite mise en exergue de la brutalité et de la misère qui frappe sa ville natale, mais aussi un précis exercice d’introspection (« Sometimes when it’s dark, I talk to my demons » Tony Flow). Son talent tient à sa capacité à traduire en musique le « double » combat qu’il mène, ce sentiment permanent d’être coincé entre deux forces qui le broient, la ville d’un côté, et de l’autre lui-même et ses pensées destructrices (« the war within »). C’est peut-être avec cette idée en tête qu’il mute petit à petit vers le personnage de Tony (la préférence de Chief Keef s’oriente au contraire ostensiblement vers Sosa). Il partage aussi avec le triste héros interprété par Pacino ce besoin de relever le défi de ce Monde qui l’écrase à la gorge.
En termes de musique, cette dualité se traduit par l’alternance d’un rap murmuré les dents serrées comme pour évacuer ses pensées au compte-goutte avant implosion, avec d’autres passages semblables à de violents rugissements au diapason des productions les plus bruyantes (ndlr : se reporter en particulier aux projets Tony et Drilluminati 3). Dans ce cas précis, le cahier des charges pour les beatmakeurs (C-Sick, Mr. Incredible, DJ L, Jay Storm, Jack Flash et bien d’autres) semble être clair : explosions rauques de basse et de percussions en avant dans le mix et rythmes variés pour que Louie puisse marteler et aplatir l’instrumental selon sa convenance, avec la précision mécanique du bon ouvrier sur chaîne. Dans cette ambiance assourdissante d’industrie, Louie, bouillant comme s’il sortait du fourneau, dispose de terrain adéquat pour livrer ses histoires les plus noires de la ville : ici peu de villas sur la Côte, de jets privés, encore moins de platine aux murs ou de Kardashian dans le plumard... C’est la rue qui est au cœur du propos.
Kill a nigga and celebrate
Get the yellow and the red tape
Drop a nigga like a mixtape
And we plan it, premeditate (City G.O.D)
C’est sans doute pour retrouver cette authenticité que Kanye le conviera d’ailleurs à prendre part à son chouette album sous influence techno-indus-post-Dopplereffekt, Yeezus (2013), pour apporter un peu de corps et de danger à une entreprise qui sentait, au final, plus la provoc’ que l’agressivité. Là où Nik Cohn regrettait le manque de rage des rappeurs contemporains (« Je voulais un incendie, il me donnait des bougies à 3 sous »), Louie crache son feu façon terre brûlée à chaque apparition, sur ses propres morceaux comme en tant qu’invité, à l’image de son couplet étourdissant sur le all-star remix du Faneto de Chief Keef.
Constitué d’un alliage lui permettant à la fois de se liquéfier et de se reformer rapidement, Louie a régulièrement repoussé les limites de la résistance humaine. D’abord percuté par une voiture, puis accidenté au volant de sa Bentley, pour enfin, en climax de cette vie de rue, être la cible de coups de feu le 23 décembre 2015. Partant de l’idée qu’il valait mieux absorber la puissance d’un projectile plutôt que de le stopper, il avala la balle qu’on lui tira dans le visage tel Robert Patrick lors du Jugement dernier, et donna une nouvelle fois raison au jeune Edward Furlong : “There’s no fate but what we make for ourselves”.
T-1000 Louie
Pour célébrer les 10 ans de carrière de Tony, nous vous proposons une sélection mixée à la tronçonneuses de ses morceaux les plus bruyants et charbonneux. En espérant vous faire ressortir de l’écoute noirs de suie...
Liste des pistes :
- King Louie – Why They Hatin On Me
- King Louie – Made Drill (prod. by Paris Beuller)
- King Louie – Easy Pussy (prod. DJ Mil Ticket)
- King Louie (feat. Josh K) - Just Because
- King Louie – Made (prod. by Jay Storm)
- Lil Herb (feat King Louie) – Another Day
- King Louie – Wit The Killaz
- King Louie – Live & Die In Chicago (prod. by Smilez)
- King Louie – See About It
- King Louie – Drilluminati 2 (prod. by Cityy Boy Beatz)
- King Louie – Tony (prod. by BlockOnDaTrakk)
- King Louie – B.O.N (prod. by Jack Flash)
- Ray Illa (feat. King Louie) - J Down (prod. by C-Sick)
- King Louie – Throw Yo Sets Up
- King Louie – Tony Flow (prod. by L Fields)
- Katie Got Bandz (feat. King Louie) – Pop Out
- YP (feat. King Louie) – Rub A Dub
- King Louie – F*ck Nigga (prod. by C-Sick)
- King Louie – Tony Ghost II
- King Louie – Showtime (prod. by C-Sick)
- King Louie – Flexin Like Dat (feat. Z Money)
- Lil Bibby (feat. King Louie) – That’s How We Move
- Shawnna (feat. King Louie) – 2 The Moon
- King Louie – Bars (prod. by C-Sick)
- King Louie – What You Do It For
- King Louie – Would You Believe It (prod. by C-Sick)
- King Louie – Till I Met Selena (prod. DJ L)
- King Louie – Like Louie (prod. by DJ L)
- King Louie – Or Whateva’ (prod. by Mr. Incredible)
- King Louie – Tony Tone Tone
Mix : Jocelyn Anglemort
Cover : _W__
Illustrations : RimRimRim