The Education of Sonny Carson
What are you doing on our turf, punk ?
& , le 6 avril 2020
Bon nombre de fans de rap connaissent par coeur des répliques de ce film, souvent sans l’avoir vu (du moins de ce côté-ci de l’Atlantique). Pourtant cette pièce de l’histoire du rap et de la culture noire américaine mérite toujours le détour.
« What are you doing on our turf, punk ?
I got a message for Smokey. »
C’est par ces mots que démarre Ironman, le premier album solo de Ghostface Killah sorti en 1996. Les quelques phrases de dialogues qui serviront d’introduction à Iron Maiden deviendront cultes pour toute une génération d’auditeurs de rap et nombreux seront les rappeurs et producteurs qui sampleront le film après lui.
La scène est tirée d’un film de 1974, The Education of Sonny Carson. Le jeune Sonny du titre y fait connaissance avec les membres du gang qu’il rejoindra par la suite, les Lords. Dans la mouvance des films de Blaxploitation qui sortaient régulièrement dans les années 1970, le film de Michael Campus (The Mack), tiré du livre autobiographique de Robert « Sonny » Carson, s’en démarque par son ton sérieux, documenté et réaliste. Il raconte l’histoire d’un jeune garçon dans les ghettos de New York à la fin des années 1960. Un parcours romanesque qui va de la rue aux gangs en passant par la case prison et qui se termine en rédemption.
Comme les autres productions de la Blaxpoitation il s’agit d’un film de série B, réalisé avec un petit budget et destiné au circuit des cinémas de quartier et des doubles programmes. Malgré quelques problèmes de rythme et des longueurs, il parvient à dresser un portrait sensible de la jeunesse des ghettos de cette époque, avec une dimension documentaire. Le film s’attarde notamment à représenter avec insistance l’impact, physique et psychologique, que l’experience carcérale peut avoir sur une vie. Et avec une force qui n’était pas si courante dans le cinéma populaire d’exploitation à cette époque. On y décrit également sans fard la vie au sein des gangs et les ravages de la toxicomanie.
Mais, si les rappeurs s’y sont intéressés de près, c’est qu’il s’agit également d’un film où la musique a toute sa place. La soul, comme le veulent le genre et l’époque, y fait bien sûr office de bande son. Mais la musicalité est cachée partout dans le film, jusque dans les nombreux moments de silence ou les longs dialogues rythmés. Ces tirades gorgées de slang bien senties et déclamées avec l’accent de l’époque nous font comprendre tout de suite l’intérêt qu’ont pu y trouver des musiciens.
Le film nous fait aussi entendre beaucoup de musique diégétique, avec des scènes proches du reportage comme cet interminable prêche enfiévré, ou ces scènes de gospels et de percussions jouées dans la rue. On trouve même une longue scène de carnaval où l’on voit d’ailleurs les gangs participer activement à la vie culturelle locale. Sur le générique de fin, la production tient d’ailleurs à remercier plusieurs gangs célèbres de l’époque pour leur aide et leur participation (les Jolly Stompers, Tomahawks, Black Spades et Pure Hell). Certains de leurs membres apparaissent également dans le film (voir cet article de 1973 du New York Times).
« Hey man… I’m going be the captain… »
L’année 1974, la date de sortie de The Education of Sonny Carson au cinéma est également celle que les livres d’Histoire retiennent comme date de naissance du hip-hop avec les premières block parties. On comprend d’autant mieux comment le film est devenu culte et pourquoi des rappeurs s’en sont nourris des années plus tard.
Après cette introduction légendaire, Ghostface reprend d’autres passages du film au cours de l’album, comme l’intro de 260 qui sample le discours des Hawks en train de se chauffer pour aller en guerre, ou encore celle de All That I Got Is You, qui cite une scène en prison dans l’enfance de Sonny où ce dernier annonce à son collègue de cellule qu’il a trois mois à tirer.
« - What dey gives you, blood ?
– Three months man.
– Whatchu doin in here anyway ? You oughta be home with your momma. How old are you boy ?
– Thirteen.
– Thirteen ? Damn, the bastards must be runnin outta niggaz to arrest »
Si les extraits les plus célèbres tirés de ce film sont ceux de l’album de Ghosface Killah, nombreux sont les rappeurs des années suivantes à en avoir extrait des dialogues, comme Prodigy (Be Cool Skit), Common (The Bitch in Yoo) et Roc Marciano (l’intro de The Pimpire Strikes Back). Aujourd’hui encore les hommages venus des rappeurs ne manquent pas, 2 Chainz (Dresser « Lil Boy » avec Young Thug) ou Meek Mill (Wanna Know) ont repris des extraits de dialogues, ou encore avec des samples musicaux de la bande originale comme 21 Savage (Bank Account). La liste est non exhaustive.
D’ailleurs la musique originale du film, de Coleridge-Taylor Perkinson, a aussi été énormément samplée. Tibo nous en a réuni un certain nombre dans un mix d’anthologie.
– Voir le film complet sur Youtube
Mwlina Imiri Abubadika
Pour finir, revenons au véritable Sonny Carson. Après son expérience racontée dans le film il s’engage dans la guerre de Corée, où il sert dans la 82e division aéroportée. Puis il change son nom pour Mwlina Imiri Abubadika et devient par la suite un activiste « black nationalist » engagé dans divers combats comme la lutte contre la drogue ou les brutalités policières. Mais il s’affichera aussi dans des luttes plus douteuses comme le boycott de certaines épiceries tenues par des Coréens, ou les tensions raciales de 1991 entre noirs et juifs dans le quartier de Crown Heights. Dernier lien avec le rap, son fils Lumumba Carson officie sous le pseudonyme de Professor X (the Overseer) au sein du X Clan.