Metro Boomin, want Some More
De St. Louis à Atlanta
, le 15 septembre 2015
En 2015, Metro Boomin, du haut de ses 21 ans, est un producteur qui compte sur la scène rap. En cinq ans, il s’est fait un nom, a enchainé les tubes avec les meilleurs, et a participé de manière active a définir ce qu’est un beat de rap aujourd’hui.
Avec ses synthétiseurs affolants et ses rythmiques fines et complexes, bardées d’énormes basses et de mitraillettes de caisses claires, la musique de Metro Boomin poursuit clairement l’héritage de Shawty Redd, mais aussi de Lex Luger et de Zaytoven. Sa musique peut paraitre inquiétante et martiale au premier abord, mais elle s’avère pourtant, au final, plutôt chaleureuse et accueillante.
Ses productions, à la première écoute, pourraient passer pour de la trap de club efficace mais générique. Elles font pourtant évoluer le genre de l’intérieur en en modifiant les structures, et en le frottant à d’autres influences. Ses morceaux sont ainsi souvent composés de différents mouvements, et proposent des architectures musicales complexes, aptes a pousser les rappeurs à sortir le meilleur d’eux-mêmes.
Avec ses compagnons de route, comme Sonny Digital, Southside ou TM88, Metro Boomin a participé a redéfinir le son d’Atlanta, une des scènes les plus influentes de ces 10 dernières années.
From St. Louis
Le jeune Leland Wayne grandi à St. Louis, dans le Missouri, avec sa mère où il passa une enfance calme et sans histoire. Passionné de musique depuis très jeune, il joue tout d’abord de la guitare dans un groupe avec des potes de son école. Mais il lâchera cependant rapidement l’affaire, car la musique qui le fait vraiment rêver c’est celle de tous ces rappeurs qu’il écoute alors en boucle.
Il décide donc de se consacrer au rap et c’est, au début dans l’unique but de s’accompagner, qu’il confectionne ses premiers beats. Il fait alors l’apprentissage de Fruity Loops, logiciel qu’il utilise toujours aujourd’hui, et se prend rapidement au jeu de la production. C’est finalement vers 13 ans qu’il abandonne définitivement le rap, pour se consacrer sérieusement au beatmaking.
La conception de beats deviendra alors une véritable obsession pour Leland. Il passera dorénavant tout son temps libre a composer, un casque sur les oreilles et les yeux fixés sur l’écran de son ordinateur portable.
Leland Wayne est a cette époque un fan de Mannie Fresh et de tout son travail de producteur pour le label Cash Money. Il adore également le controversé Soulja Boy, ses délires un peu fous et sa façon décontracté de démocratiser le rap. Mais pour lui, le son du moment c’est véritablement celui de la scène trap d’Atlanta. Ce sont les beats de Zaytoven et Lex Luger, et ces rappeurs avec un grain de folie, comme Gucci Mane ou OJ Da Juiceman, qui l’influenceront le plus.
To Atlanta
La capital de la Géorgie est alors la Mecque du rap et les jeunes producteurs en herbe qui rêvent de gloire regardent Atlanta de la même façon que les apprentis comédiens regardent Hollywood. Leland sait que si il veut faire carrière dans le rap il faudra y aller à un moment ou à un autre, la seule question c’est quand.
Dès qu’il a un instant, il traque les acteurs de la scène d’Atlanta sur les réseaux sociaux. Il envoie des beats a tout le monde, tout le temps. A force d’insistance il finit par se faire remarquer dans le milieu, comme étant "ce gamin qui casse les couilles à tout le monde sur Twitter". Ce qui finira par porter ses fruits.
C’est finalement OJ Da Juiceman qui sera le premier rappeur reconnu, à poser sa voix sur une instru concoctée par le jeune Metro Boomin. Convaincu par sa prestation, l’homme "jus d’orange" lui confira 6 titres sur son Cook Muzik en 2011, et le présentera à Gucci Mane, son ami d’enfance. Leland a alors 17 ans et cette année sera certainement un des tournants les plus important de sa vie.
Gucci Mane est, au tournant des années 2010, un pilier incontournable de la scène rap d’Atlanta, sa pierre angulaire. De Waka Flocka Flame à Young Thug, en passant par Young Scooter, le "Big Guwop" à toujours su dénicher les talents et leur donner une exposition, dans ses nombreuses mixtapes ou sur son label, le 1017 Brick Squad. Derrière la figure du gangster au bord de la folie, Gucci est une vraie bête de travail qui, quand il n’est pas derrière les bareaux, passe littéralement sa vie, nuit et jour, en studio. Et c’est dans son studio que défile alors, quotidiennement, le meilleur de la scène trap d’ATL.
Metro Boomin, qui signe à l’époque ses beats Metro ou Metro Beatz, profite de ses vacances scolaires pour les passer à Atlanta et c’est donc chez Gucci que le jeune lycéen rencontrera le gratin de la scène trap. Il se retrouvera rapidement à faire des beats pour de plus en plus de monde, dont trois titres pour Alley Boy sur Definition Of F*ck Shit en 2011. Il décidera de s’installer en 2012 à Atlanta pour y faire des études de commerce en parallèle de sa carrière musicale. C’est également là qu’il fera la rencontre de Future.
– Voir une interview du jeune Metro Beatz à 17 ans
Future
2011 est également une année charnière pour un autre personnage très important de la scène d’Atlanta. Cela fait une bonne dizaine d’année que Future gravite autour de la Dungeon Family, a écrire pour les autres ou a lâcher un refrain par-ci, par-là, mais c’est bien en 2011, avec les mixtapes Dirty Sprite et True Story, qu’il commence sérieusement à se faire un nom.
Début 2012, Future vient de sortir Pluto, son premier album studio, et est une figure montante d’Atlanta quand il fait la rencontre du jeune Metro. Il sortiront rapidement Hard, un single qui marquera le début d’une longue et fructueuse collaboration.
Ils sortiront ensemble de nombreux morceaux marquants, comme le très efficace Karate Chop, le complexe Maison Margiela, l’explosif et étonnant Chanel Vintage ou encore le romantique Honest qui donnera son nom à son troisième album. Rebaptisant au passage un projet qui était annoncé avec le nom de Future Hendrix depuis des lustres.
C’est d’ailleurs après l’énorme succès de Karate Chop, que Metro Boomin décidera de quitter la fac pour de bon, n’arrivant plus à tenir le rythme entre ses études et sa carrière musicale, qui prendra à ce moment là une vitesse superieure.
Want Some More
Avant d’avoir sa propre maison et son home studio personnel, il habitera dans un premier temps chez le producteur Sonny Digital, qui le prendra sous son aile, lui fera office de grand frère et achèvera sa formation. Il travaillera alors souvent en co-production avec les beatmakers gravitants autour de Sonny et du collectif de producteurs 808 Mafia.
Définitivement social et aimant le travail collectif, il partagera plus tard avec ses amis producteurs, des gens comme Sonny Digital, Spinz ou Southside, une maison dont chaque pièce est transformée en studio. Véritable bouillonnement d’influences, c’est de cette maison que sortiront certainement la plupart des innovations formelles qui feront ce qu’est devenue aujourd’hui la "nouvelle" trap music.
Il y a toujours du passage au studio, c’est tout le temps un peu la fête, et ça sent la weed dans toutes pièces. Metro possède une personnalité studieuse, il ne boit pas et ne se drogue pas. Mais la présence de tout ces fêtards quand il travaille ne le dérange pas, bien au contraire. La façon dont tous ces rappeurs réagissent à la musique qu’il est en train de composer est, selon lui, un élément important de son processus de création.
" It helps watching a lot of rappers reactions, like watching what in a beat makes them wanna align with it. Certain things you have to watch them and see what really gets the oohs and ahhs out of them, and you come back harder with that. »
Si Metro Boomin a commencé sa carrière en envoyant aux rappeurs des beats par email, ce qu’il préfère avant tout est le travail de studio avec les rappeurs. Il aime particulièrement les rappeurs n’hésitent pas a rester enfermés dans un studio pendants des dizaines d’heures pour peaufiner un morceau, comme Future et sa célèbre Batcave.
Et ce sont ces allers-retours entre le rappeur et le producteur qui font le sel des meilleurs titres de Metro. C’est cette façon qu’ont les mélodies et les rythmiques de paraitre littéralement tourner autour du rappeur, pour le titiller et le pousser a vraiment se donner à fond.
Young Thug
Metro Boomin est fidèle et aime le travail à long terme avec les rappeurs. Un autre rappeur avec lequel il aura une collaboration fructueuse, c’est Young Thug, qu’il rencontrera également chez Gucci Mane. La spontanéité de l’un se mariera parfaitement avec le perfectionnisme de l’autre.
Il semble évident, à leur écoute, que des morceaux comme Can’t See Em, ou Some More, sortis tous deux sur la mixtape de 19 and Boomin, sont le résultat d’un véritable travail d’équipe. On entend les heures passées, à deux dans le studio, à travailler sur les beats et la voix, à faire des modifications jusqu’à ce que l’ensemble fonctionne parfaitement.
Rapidement les deux compères se trouvent des affinités artistiques, et la folie créatrice du rappeur poussera le producteur a sortir ses meilleures productions. Une affinité qui les poussera à travailler ensemble sur un projet commun annoncé sous le nom de Metro Thuggin, et qui est repoussé régulièrement depuis plus d’un an.
Everybody who asks me about Metro Thuggin, don't ask me anymore, ask @300
— Metro Boomin (@MetroBoomin) 15 Août 2015
La sortie de ce projet est certainement compromise par les équipes de management de Young Thug (Cash Money et 300 Entertainment) qui semblent préférer donner à leur protégé d’autres couleurs musicales. Celle, notamment de London on the Track sur la mixtape Rich Gang : The Tour, Part 1, puis celle de Wheezy pour l’album numérique Barter 6.
Si la mixtape ne sort pas, nos deux compères lâchent régulièrement des singles, qui, comme The Blanguage, Warrior, Speed Racer ou Free Gucci (hommage au mentor incarcéré), sont à chaque fois de véritables tueries. De quoi faire déjà, un très bon petit EP.
Some More to come
Depuis que Gucci Mane est en prison, il manque certainement un point de gravitation pour les nouveaux talents d’Atlanta. Mike WiLL Made-It tente de prendre ce rôle, mais Metro Boomin à également une bonne oreille. Il montre une ouverture d’esprit particulière en misant sur le farfelu ILoveMakonnen.
Il adore son délire, une "bedroom pop" étrange et teintée de rap, et lui propose de faire ensemble, des morceaux plus carrés. Il le présente à Sonny Digital et au reste de ses amis producteurs. Deux mixtapes, I Drink More Water 4 et I Love Makonnen, sortiront, en juin 2014, de ces collaborations. Elles rencontreront en un été un étonnant succès.
À la toute fin 2014, sa participation, en co-production avec Zaytoven, à un titre de l’album The Pinkprint, de Nicki Minaj, sonne comme une consécration et l’intronise dans le monde du rap mainstream. D’autant plus que le titre du morceau, Want Some More, comme une sorte d’hommage, reprend la signature que Metro Boomin pose sur ses instrus.
Si Metro Thuggin tarde a pointer le bout de son nez, sa collaboration avec Future semble se resserrer de plus en plus. À l’été 2015, il participe à pas moins de 11 titres sur les 13 que contient Dirty Sprite 2, incontestablement un des albums les plus marquants de l’année.
Un autre projet passé à la trape est son projet solo, 20 & Boomin, originalement prévu pour septembre 2014 (à l’occasion de son anniversaire), et qui devait faire suite à l’excellente mixtape 19 & Boomin. Cette dernière était sorti l’année précédente et avait été très remarquée. C’est clairement cette dernière qui l’avait propulsé sur le devant de la scène et l’avait fait connaitre du public. Peut-être passera-t-il directement à 21 & Boomin ?
Mais le jeune producteur n’en est plus à avoir besoin de sortir ce genre de projet solo pour se promouvoir. Aujourd’hui Metro Boomin s’affiche dans les clips, rempli les salles de spectacles, et est devenu à son tour, un modèle pour une nouvelle génération de producteurs.
Illustrations : Dirt Noze.