ISSUE : Pig & Waves of Italy
Sippin’ Tea, Drivin’ a Ferrarri
, le 12 octobre 2012
Présentation du rappeur le plus inclassable de la Bay Area.
On dit qu’en ce début de décennie une nouvelle scène indépendante émerge au sein du rap américain et tente de le redéfinir. Elle est portée par une génération de rappeurs et de producteurs souvent nés après 1990, au coeur de ce que certains appellent l’âge d’or du hip-hop, avec une Super Nintendo [1] dans le berceau et biberonnés à l’internet.
Entrée en scène après l’élection d’Obama, cette génération tendrait à s’éloigner des préoccupations identitaires du rap (qu’il soit gangsta ou conscient), appréciées et épuisées par leurs prédécesseurs. De la skate punk attitude du Odd Future au based rap de Lil B, en passant par le gangsta rap gothique post "Devil Shit" de SpaceGhostPurrp et du Rvidxr Klvn, le cloud rap de Main Attrakionz ou encore les élucubrations indescriptibles du grand escogriffe RiFF RaFF, une armada de jeunes rappeurs, autour de la vingtaine, propose une relecture des codes du hip-hop avec des thématiques plus intimes et en s’affranchissant de la dimension "prouesse technique" du genre.
D’un autre côté, cette génération perpétue et accentue l’esprit "do it yourself" propre à la culture rap en utilisant internet par tous les moyens pour se faire connaître. Mixtapes gratuites en pagaille, clips amateurs à gogo, comptes Youtube, Twitter, facebook, Soundcloud et Tumblr à foison pour se faire une place sur la toile.
Héritiers des codes outranciers du gangsta rap, ces nouveaux artistes les ré-utilisent avec recul et humour, se délectent d’une imagerie mauvais goût et perpétuent un esprit kitsch très numérique dans la droite lignée des célèbres pochettes façonnées par le studio graphique Pen & Pixel. Ils mélangent allègrement le pire du rap consumériste, les sons et les thèmes du dirty south avec les expériences déroutantes et l’introspection du rap indé de la fin des 90’s et n’hésitent plus à s’ouvrir au rock blanc et à la pop.
just another rapper’s kid
Fils de E-40, poids-lourd hip-hop de la Bay Area depuis 1991, Issue est un véritable "enfant du rap". Depuis tout petit il a vu le gratin de la scène Hyphy traîner à la maison et il aurait donc été évident pour lui de se lancer dans ce rap festif et bourré d’énormes basses bondissantes, comme l’avait fait avant lui son grand frère Droop-E. Mais Issue, même s’il reconnaît volontiers l’influence de son père sur son travail, se présente surtout comme un grand fan de Pink Floyd et de rock progressif, ainsi que des expérimentations planantes de l’IDM européenne. Pour ce qui est du rap contemporain, il dit être proche de Metro Zu et revendique surtout l’influence de Lil B dont il apprécie la liberté de ton.
À mille lieues, donc, des élucubrations vocales ultra rapides et de l’aisance technique de son paternel, le tout jeune rappeur (encore à l’école) revendique un amateurisme expérimental et sensible. Si Issue n’a pas l’aisance technique d’E-40, il faut reconnaître à sa voix un timbre particulier et chaleureux et une musicalité très personnelle. Une sensibilité rock qui n’est cependant pas sans rappeler les expériences indy du label Anticon. Issue nous concocte ainsi un rap décalé, entre les sons et les thèmes du dirty south et l’esprit planant et sensible de cLOUDDEAD.
Il confectionne ainsi entre 2010 et 2012, sur ses étonnantes premières mixtapes (Les 3 E series et les 2 Moonroof, téléchargeables ici), des morceaux brinquebalants mais inventifs et originaux. Ce rap maladroit, lent et psychédélique accompagné de chants atonaux susurrés et d’autres grognements gutturaux, est enregistré en deux prises sur des instrus bricolées rapidement sur son GarageBand ou piquées à des gens comme Aphex Twin ou Boards of Canada.
Si ces premières mixtapes sont loin d’être parfaites, on peut tout de même louer la tentative qu’elles représentent et elles se laissent écouter en boucle avec un plaisir toujours grandissant.
Sippin’ tea in my lambo
Issue connaît bien le rap game, il sait qu’un bon rappeur doit se créer un personnage avec des gimmicks simples et efficaces. Outre la musique, le jeune Issue a deux passions dans la vie. Deux passions dévorantes qui feront le terreau de son rap et le ciment de son personnage.
En bon gosse de riche qui vient d’avoir son permis de conduire, Issue revendique un amour insatiable pour les voitures de luxe, plutôt sportives et si possible d’origine italienne. Ainsi Ferrari et Lamborghini peuplent ses raps, moteurs V8 et burnout animent ses couplets sur des instrus qui semblent pensées pour être écoutées pendant un long road trip nocturne.
D’un autre côté, le jeune rappeur de la Bay Area voue un véritable culte au thé sous toutes ses formes. Thé noir, thé vert, chaud ou glacé, la plante s’immisce sous toutes ses formes dans les tracks du bonhomme. Tout "vrai" rappeur voue un culte à une marque, Issue le sait, pour lui ce sera donc AriZona. Le nom de la célèbre marque de ice tea sera prononcé un nombre incalculable de fois sur les mixtapes de l’infatigable siroteur de thé.
"I’m in the hood and I got tea in the trunk"
Son obsession du thé lui permet également de revendiquer un rap "drug free". Comme il le dit lui-même en interview, ses raps possèdent finalement des thématiques très classiques pour le genre, ils parlent de filles, de voitures et d’argent, seule la drogue y a été remplacée par le thé. Le thé comme cheval de Troie, un virus contaminant vers après vers le rap déviant de Issue.
Teaholics Records
En 2012 tout s’accélère. Son flow s’affine et son style murit rapidement. Les mixtapes deviennent plus carrées. Issue rencontre, via Twitter ou Facebook, des producteurs confirmés comme Giorgio Momurda, le français Soufien3000 ou encore Avispado qui lui produisent des tracks, et des rappeurs atypiques comme Akira the Don, Juiceboxxx ou le très respectable Murs qui viennent s’inviter sur ses tapes.
La mixtape Pig (à télécharger ici) sortie début 2012 est excellente. De son titre même à la "participation" (involontaire) de David Gilmour (Pig on Tea), de l’ambiance et des chants alanguis sous "effets" de certains titres (Sippin On That Viper Tea) au sample de machine-à-sous tiré du Dark Side of the Moon (Get This Money), Les hommages à Pink Floyd s’y succèdent en nombre. C’est sa mixtape la plus aboutit à mon sens. Mieux réalisée que les précédentes elle a malgré tout su garder l’aspect bricolage et une l’étrangeté psychédélique qui y planait.
Après une courte mixtape (Skies) et une tentative d’album commercial (Ghotam City, uniquement sur iTunes), Issue vient de sortir en ce début d’octobre Waves of Italy à télécharger ici. Il y affine une fois de plus son style. Waves of Italy est moins psychédélique et étrange que Pig, plus professionnel aussi, son flow y est plus carré, plus posé que précédemment.
Le clip minimal de Ferrari (Italian Love) qui remixe un test de Ferrari type Auto Moto :
On peut retrouver et télécharger l’ensemble des mixtapes de Issue et du crew Teaholics sur leur Tumblr. Ecouter ces mixtapes c’est entrer dans l’univers de l’adolescent Issue et assister à la naissance et à la maturation d’un artiste en devenir.
– Teaholics Records
– Soundcloud
– Interview @ Pure Baking Soda
– Interview @ Southern Hospitality
– La recette du viper tea
[1] Dans le cas d’Issue ce sera plutôt Sega, le rappeur voue un culte à l’ancien constructeur japonais presque aussi puissant que celui qu’il porte à la marque AriZona.