L’attente était longue mais elle valait le coup, le premier album de Corbin est un chef d’oeuvre.
2017. Quelle année. Une année que tous les edgy kids porteront dans leurs coeurs. Des ouragans, des attentats à ne plus savoir quoi en faire, l’élection de Macron... Et l’album de Corbin, aka Spooky Black aka Lil Spook. Avant même d’aller plus loin, je dois vous avertir, l’écoute de cet OMNI ("Objet Musical Non Identifié") n’est pas sans risque. En effet, on rentre dans le domaine de l’émotion pure, vivace et viscérale, et sous ses airs de gamins dépressif, Spooky Black propose un vrai melting pot de haine, de désespoir, de dépression et de New Wave dans sa tambouille.
Qui prétend faire du rap sans être en dépression ? Tel pourrait être le motto d’une grande majorité des rappeurs 3.0 issu de l’Internet profond dans lequel cohabitent memes, humour potache, harcèlement de toute sorte et profonde solitude. Si d’un côté, nous trouvons G59 et son ironie mordante, ses rappeurs qui, malgré tout, kickent, et quand bien même ils popperaient des xans à longueur de journée, leur musique se veut plutôt abrasive et vengeresse. Ici, on a affaire à l’exact inverse, comme si G59 avait traversé un miroir ou un lac et s’était retrouvé dans un monde à l’opposé.
Tout d’abord dans sa manière de rapper. Lil Spook est bien plus proche d’un Robert Smith période Pornography que d’un type qui vient représenter les talents de son ghetto, chant nasillard, aucun passage rappé, allongement de toutes les syllabes, avec un mélange d’autotune et d’un énorme delay couplé à beaucoup de reverb. A bien y réfléchir, vocalement, on est plus proche d’une New Wave 2.0 que de rap, voire même de RnB.
Les prods sont toutes signées Shlohmo (ce qui en soit est un signe que l’album sera incroyable.) et D33J et à ce niveau, l’album aligne morceau de bravoure sur morceau de bravoure, d’un No Title alignant des drums post-punk à un Revenge Song n’en proposant pas du tout et s’appuyant sur des grosses notes de synthé passées sous overdrive, tout le spectre de l’electro mélangé à ces courants de musique dépressive des années 1980 y passe. L’album serait parfaitement écoutable sans les vocaux déchirés de Corbin. Et pourtant, l’écriture de Corbin sublime cette pièce.
La théorie veut que l’on comprenne le sens, ou quelque chose de très proche, d’un morceau sans même comprendre les paroles, cela n’aura jamais été aussi vrai qu’ici. Les gémissements plaintifs d’un ICE BOY laissent place à un espoir teinté de résignation dans les hurlements d’un All Out aux plaintes pleines de haines d’un Revenge Song. Les thèmes abordés par Lil Spook sont ancrés dans l’ère du temps, si on se limite au RnB (Miguel, Frank Ocean...), totalement intemporels dès qu’on se rapproche un peu de la New Wave, ou du Post-Punk. L’homme nous raconte sa solitude, sa dépression, sa haine du monde, de l’entièreté de la Terre, rien de novateur, mais c’est fait avec une telle sincérité qu’il est difficile de ne pas avoir de peine quand il est peiné, d’avoir envie de mettre la vie à feu et à sang quand il le psalmodie, et de ne pas se la jouer Bronson du pauvre en pensant à Revenge Song. À y réfléchir, on est bien face à un album de New Wave, et non de RnB.
Revenge Song, parlons-en. Corbin se met en scène façon Rape & Revenge, pour prendre la défense d’une petite fille violée. Le morceau est aussi dégoutant qu’il est splendide, absolument heart-breaking. La véracité des faits importe peu quand l’Homme met autant de coeur à l’ouvrage, Mourn est un projet qui restera longtemps, très longtemps dans le coeur des pauvres hères qui auront croisé son chemin.